Desperate housewives - Saison 1

Stéphane Argentin | 15 septembre 2006
Stéphane Argentin | 15 septembre 2006

Qui en ce dimanche 3 octobre 2004, date de diffusion du tout premier épisode de Desperate housewives sur la chaîne américaine ABC, se serait hasardé à miser le moindre dollar sur une fiction s'intéressant au quotidien de ménagères quadra dans un quartier BCBG de la middle class ? Personne sans doute, à commencer par le créateur du show lui-même, Marc Cherry qui, après avoir participé en tant que scénariste à la série à succès Les craquantes (The golden girls en VO) de 1990 à 1992, ne cessera ensuite de cumuler les échecs au cours de la décennie suivante au point qu'à l'aube du nouveau millénaire, plus personne à Hollywood ne veuille lui confier le moindre job.

 

 

Début 2002, alors qu'il assiste au procès d'Andrea Yates (une femme de 37 ans accusée d'avoir noyé ses cinq enfants) en compagnie de sa mère, cette dernière lui dévoile qu'elle a elle-même connu pareille détresse à une époque. À partir de cet instant, il n'en faut pas davantage à un Marc Cherry encore tout abasourdi par une telle révélation pour se dire que si sa chère et tendre maman a traversé une telle épreuve, des tas d'autres femmes l'ont sans aucun doute également traversé. Et Cherry de rédiger immédiatement un script en s'inspirant de cette révélation fracassante et de s'en aller ensuite frapper à la porte des différents studios pour tenter de trouver preneur. Preuve supplémentaire que personne ne croit en ce projet sans avenir, toutes les chaînes lui claquent la porte au nez, y compris la pourtant très culottée HBO. C'est finalement ABC, en mal de succès depuis de nombreuses années, qui acceptera de financer le projet moyennant quelques menus aménagements (le concept, pas assez relevé aux yeux d'HBO, l'était en revanche un peu trop pour une chaîne grand public comme ABC).

 

 

Sitôt le casting bouclé et les premiers épisodes en boîte, les résultats ne se font pas attendre. Les téléspectateurs font un véritable triomphe à la série comme il a rarement été donné d'en voir dans les annales du petit écran, hissant instantanément Desperate housewives dans le top 5 des shows télés les plus regardés outre-atlantique. Un résultat qui ne cessera de se confirmer semaine après semaine, aussi bien aux États-Unis que dans les différents pays où la série a été diffusée depuis. Comment expliquer un tel succès ? Qu'a de plus cette série que les autres n'ont pas ? Tout et, paradoxalement, rien à la fois.

 

 

Alors que les programmes télés sont trustés depuis plusieurs années déjà par les séries policières (Les experts, FBI : Portés disparus, 24 heures chrono…), les sitcom (Friends, Joey, Mon oncle Charlie, Will & Grace…) et que le fantastique s'apprête à faire son grand retour depuis le succès de Lost (plus d'une demi-douzaine de nouvelles séries de SF vont faire leur début à la rentrée 2005 aux États-Unis), Desperate housewives regroupe le meilleur de chacun pour l'ancrer dans une réalité tout ce qu'il y a de plus ordinaire. Mais qui a-t-il de plus atypique et captivant que le quotidien à priori banal d'une petite bourgade bien tranquille ? S'ouvrant précisément sur le même type de fait divers dramatique qui servira de déclencheur à Marc Cherry, Desperate housewives débute par un suicide, celui de Mary Alice Young. Qu'est-ce qui a bien pu pousser cette femme au foyer et mère de famille apparemment heureuse en ménage à commettre un acte aussi désespéré ?

 

 

À partir de ce démarrage aussi mystérieux que tragique, Desperate housewives va suivre le quotidien de ses femmes au foyer, heureuses aux yeux de tous, mais malheureuses au sein de leurs propres murs. À l'aide de scénarii d'une précision chirurgicale redoutable (certains reprochent même à la série ses scripts trop parfaits) dont l'intensité ne faiblira pratiquement jamais au cours des 23 épisodes que comporte la première saison (contrairement à Lost qui fléchira très nettement dans sa deuxième moitié de saison), Desperate housewives est un mariage aussi réussi que prodigieux de différents genres : l'intrigue policière (le mystère entourant le suicide de départ), la comédie dont le registre varie de l'humour grinçant au vaudeville (amants dans le placard et autres crocs-en-jambe…) en passant par le sitcom (les nombreuses gaffes de Susan) mais aussi le drame (bien que la série soit citée dans la catégorie « comique » aux Golden Globes et aux Emmy Awards) dans sa description implacable des vies de famille de monsieur et madame tout le monde.

 

 

Servie par une interprétation irréprochable (cf. notre dossier sur les personnages de la série), une musique tour à tour enjouée, mélancolique et mystérieuse (le thème principal est signé Danny Elfman, compositeur attitré des films de Tim Burton) et des répartis aussi jubilatoires qu'acerbes, Desperate housewives est un véritable plaisir coupable qui nous plonge au cœur des joies et des peines de ces différentes familles du quartier de Wisteria Lane (mais qui pourrait tout aussi bien se dérouler dans n'importe quel autre ville du globe), guidé au fil des épisodes par la voix off de la défunte, Mary Alice Young. Un procédé « voyeuriste » qui ne sera pas sans rappeler un certain Sunset Boulevard ou, plus récemment, American beauty, autre critique acerbe d'une certaine image rayée de notre société moderne.

 

 

Deux références cinématographiques que Marc Cherry ne renie aucunement, tout comme il ne se cache pas de ses penchants sexuels et politiques puisqu'il se définit lui-même comme un « gay républicain ». Fallait-il obligatoirement que le créateur de la série soit un homme homosexuel pour aboutir à un portrait de femmes aussi prodigieusement réussi ? À croire que oui tant cet exposé social reflète notre quotidien, aussi bien pour les hommes que pour les femmes, tel un miroir sans teint (sur)réaliste (un sentiment renforcé par des extérieurs tout droit sortis d'une campagne de pub où pas un seul papier de bonbon ne traîne dans la rue et dont la propreté ne sera pas sans rappeler le Edward aux mains d'argent de Tim Burton).

 

 

Car croire que Desperate housewives ne s'adresse qu'à mesdames serait commettre la plus grossière des erreurs. Pour preuve, l'auteur de ces lignes qui, quelques semaines avant de se lancer à la découverte de la série, la qualifiait ouvertement de « nouvelle distraction pour bonnes femmes » se prendre ensuite à rire, à pleurer et à s'émerveiller devant cette petite perle qui renvoie le téléspectateur à chacune des phases clés de sa vie avec comme noyau central l'éternel dilemme entre la réussite personnelle – mariage, éducation des enfants, plaisirs charnelles (avec toutes les déclinaisons possibles en la matière : adultère, sadomasochisme, homosexualité…) – et professionnelle où l'on se retrouve alors face au choix cornélien entre grimper les échelons au détriment de sa famille, tout abandonner pour se consacrer entièrement à ses enfants (le personnage de Lynette) ou bien parvenir à concilier les deux.

 

 

Y a-t-il alors quelque chose à redire à cet implacable portrait social à mi-chemin entre gaudriole et vitriole, glamour et linge sale et où tout n'est que chantage (cf. le couple Solis et leur contrat de mariage) ? On pourra bien reprocher une intrigue policière un peu faiblarde qui ménage quelques rebondissements (cliffhanger final) un peu simplets et / ou téléphonés mais étant donné que ce « meurtre » mystérieux à Wisteria Lane ne sert finalement que de fil rouge prétexte à des analyses beaucoup plus enrichissantes et approfondies, on se gardera bien de la moindre réprimande à ce sujet. Plaisir coupable et limite masochiste là encore pour le propre reflet d'un quotidien pas toujours très rose qu'elle nous renvoie, Desperate housewives est l'une des fictions les plus génialement jouissives qu'il ait été donnée de voir depuis bien longtemps, aussi bien sur petit que sur grand écran. 

 

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