The Amazing Spider-Man 2 - autopsie d'une catastrophe

Simon Riaux | 29 avril 2014
Simon Riaux | 29 avril 2014

Rarement le public aura été à ce point pris pour un ramassis de moutons lobotomisés. Tel est le constat qui s'impose en découvrant l'effarant Amazing Spider-man 2, improbable choucroute numérique dénuée d'enjeux, d'idées et d'âme. Mais le blockbuster commis par Marc Webb est très loin de se réduire à un énième produit cynique conçu à la va-comme-je-te-pousse ; Hollywood n'a jamais été philanthrope et n'a pas attendu l'avènement des supers héros pour produire à la chaîne des films désincarnés conçus depuis des arrières-salles de marché. Ce qui fait de The Amazing Spider-man 2 une date et un anti-évènement particulièrement inquiétant dans le contexte actuel, c'est le rôle tenu par sa promotion dans la dissolution de l'œuvre, transformée en délirante bande-annonce.

 

En guise de préambule, nous vous encourageons à lire l'excellent papier publié par nos camarades de Cinema Teaser, qui décortique avec précision et acuité les différentes étapes d'une promotion tentaculaire et absurde, entamée avec le reboot de l'homme-araignée. Nos confrères y listent avec rigueur la phénoménale entreprise marketing, qui aura durablement écorché le premier film et totalement compromis le second.

Après des mois de photos, concepts arts, teasers, trailers et autres featurettes, le spectateur arrive en salle pour découvrir un film qu'il a largement déjà vu, les bandes-annonces lui ayant révélé jusqu'à l'image finale du métrage. Si la découverte de ce trailer extended au prix d'une dizaine d'euros a de quoi faire passablement mal au fondement du fan innocent, il est l'occasion de tirer une leçon de ce climax marketing. Le seul absent de cette grand messe hollywoodienne, c'est le film lui-même.

En effet, il ne s'y déroule absolument rien. Peter Parker, transformé en petit branleur arrogant (soit justement le lycéen abominable que sa mythologie le forme à combattre), discute et palabre entre deux séquences de jeux vidéo biberonnées au bullet time. L'histoire, incohérente et invraisemblable ne présente pas une once d'intérêt et évacue toute forme de dilemme ou d'émotion trop complexe. Pourquoi ? Parce que The Amazing Spider-Man 2 n'entend aucunement procurer du plaisir au public, mais une forme de frustration ludique. Ce n'est évidemment pas un hasard si les premières annonces définitives concernant les suites directes du film ainsi que ses spin-off (Sinister Six, Carnage et Venom...) ont envahi la toile quelques semaines avant la sortie du blockbuster. Car le métrage ne doit surtout pas satisfaire son spectateur, mais lui donner l'envie, lui faire ressentir le besoin de découvrir l'univers étendu concocté par les petits gars de chez Sony.

Le modèle est bien évidemment celui établi par la maison mère Marvel et ses Avengers. Cette dernière ayant prouvé que cohérence et respect du public étaient des données largement dispensables, rien d'étonnant à ce que Sony calibre sa franchise la plus juteuse dans le même moule. Inutile donc de proposer un récit viable, des personnages fouillés ou des situations cohérentes, puisque d'autres films, d'autres médias et d'autres cascades promotionnelles viendront remplir les trous. Cette logique n'est pas nouvelle, c'est également celle qui structure actuellement l'industrie du jeu vidéo autour du concept d'add on, season pass et extensions. L'œuvre n'a nul besoin d'être complète, puisqu'elle n'a pas d'autre but que de diriger l'attente du public vers une hypothétique séquelle, laquelle ouvrira sur d'autres univers.

 

On aurait tort de voir là une logique proche de celle des séries, celles-ci étant coagulées par saisons, elles-même recevables comme un tout. Impossible de voir dans The Amazing Spider-man un élément qui ne devrait être jugé qu'à l'aune de sa complétude, puisque cette dernière change en permanence. En effet la noirceur de pacotille accolée au premier épisode en guise de note d'intention est ici évacuée au profit d'une image lumineuse générique, Parker passe de nigaud de sitcom à quaterback plastifié de romcom ringarde, j'en passe et des meilleurs. Impossible de trouver ici le moindre signe de continuité, la moindre justification logique à ces revirements. Il n'y en aura pas, là n'est pas l'objet du nouveau Spider-man.

Ce n'est pas l'univers, le scénario (et ne parlons même pas des comics) qui présideront aux futures orientations des myriades de films en préparation, mais les remontées du box-office. Cette relation de cause à effet n'est pas nouvelle, mais d'une ampleur inédite. Il avait fallu trois films à Sony pour réussir à imposer à Sam Raimi des personnages dont il ne voulait pas, gageons que Marc Webb n'aura même pas essayé de se racheter une intégrité.

Mais le ratage spectaculaire de The Amazing Spider-Man 2 n'est pas un événement digne d'intérêt en soit. C'est ce qu'il annonce et préfigure qui doit retenir notre attention. Recollons les morceaux : nous savons donc qu'Andrew Garfield est actuellement en négociations avec Sony qui compte bien ne pas se séparer de lui après le troisième épisode. Il en va de même pour Chris Evans, qui après avoir annoncé l'arrêt de sa carrière de comédien, a précisé ne pas vouloir rompre ses futurs contrats avec Marvel. Parallèlement, DC Comics vient de révéler la mise en chantier de pas moins de neuf blockbusters consacrés à ses supers héros maisons. Tandis que Kevin Feige s'impose en mentor Marvel pour yuppies décérébrés, c'est la figure d'Avi Arad que Sony met en avant. Autant d'univers, de constellations, d'acteurs et de dirigeants de Studios qui nous racontent une fable familière à nos oreilles.

 

Des comédiens affiliés à une maison mère, du story telling promotionnel, des nababs mis en scène. Pour un peu, Hollywood donnerait presque l'impression de rejouer la farandole de l'Âge d'or des studios, avec ses Zanucks et Hawks, ses Valentino et ses Bogart, passés à la moulinette de la communication 2.0. Si les augures du box office sont cet été encore en faveur des supers héros (et ils le seront), les Majors accéléreront encore leur mue et la croiront réelle l'espace de quelques années. Hollywood se croira maître des foules de teenager bovins qu'elle dragouille avec indécence et nous rejouera la tragédie chère à Kenneth Anger.

Une chose doit néanmoins nous rassurer dans le maëlstrom de nullité désincarnée qui s'annonce : c'est que l'histoire se répète toujours sous la forme d'une farce et que cette fois, la chute risque d'être particulièrement violente, à en juger par l'inflation budgétaire dont est victime la Colonie du Cinéma. Le temps sera alors venu pour une véritable création audacieuse, sinon indépendante et les studios se tourneront vers l'El Dorado télévisuel où auront prospéré conteurs et showrunners. Nouvel Hollywood ? Vous avez dit Nouvel Hollywood ?

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