Deauville 2012 (Jour 2 & 3) : Week-end vauDeauvillesque

Laurent Pécha | 4 septembre 2012
Laurent Pécha | 4 septembre 2012

Un Week-end vauDeauvillesque

Après s'être bâfrés au dîner officiel d'ouverture et soûlés au bar de la villa Cartier, après des heures passées à s'observer, se jauger, s'épier, se contempler, s'éviter, se chercher, se gausser, se morfondre, s'engueuler, se réconcilier, se draguer, se frotter, les festivaliers, les jurés et surtout les fameuses sirènes de Deauville en talons aiguilles et robes de soirées légères qui font tourner la tête de certains mâles en rut ont quand même fini par aller rejoindre Morphée et ses bras accueillants afin de recharger les batteries, les cerveaux et les téléphones portables. Réveil en écartant les rideaux sur un magnifique temps normand : bruine, brume, fraîcheur. Qu'importe puisqu'il y a quand même des films à voir et rien de tel pour motiver les foules et les pousser à aller se réfugier dans les salles obscures. Il y a d'abord eu le magnifique documentaire sur Rodriguez, le génie inclassable oublié du folk américain, Sugar Man. Puis le deuxième film de la compétition, sorte de documentaire sur un Paul Dano fébrile et fêlé qui fume des clopes et qui vomit en attendant de pouvoir rencontrer sa fillette, For Ellen (lire la critique). Comme on l'a souvent remarqué depuis des décennies, à Hollywood les films viennent décidément toujours par deux. Présenté en avant-première française et mal aimé outre-Atlantique aux vues de l'insuccès public et critique lors de sa sortie,  Bachelorette est l'autre Mes Meilleurs Amies (lire la critique).

 



Enfin ce samedi qui avait commencé dans la pluie s'est achevé avec quelques rayons de soleil, sur les planches mais aussi sur la toile avec la projection du sympathique et inoffensif Your Sister's sister, troisième film de la compétition, qui est un huis clos gentiment batifoleur et vaguement vaudevillesque réunissant le temps d'une escapade champêtre la délicieuse et désormais incontournable Emily Blunt (A), le désopilant Mark Duplass (B), remarqué dans Humpday et Greenberg et enfin la belle Rosemarie DeWitt (C) que l'on avait remarquée en maîtresse insaisissable et indomptable de Don Draper dans Mad Men saison 1. Le point de départ en est simple : A et B sont les meilleurs amis du monde. Ils ne le savent pas encore, du moins ne se l'avouent-ils pas consciemment,  mais ils sont amoureux l'un de l'autre. Seulement voilà : B est endeuillé par la perte de son frère dont A est l'ancienne petite amie (si ce n'est pas du bon dilemme freudien ça alors !). Déprimé, blasé, aigri, désœuvré et précaire, il traverse une crise existentielle. A lui propose d'aller faire le point en s'aérant à la campagne dans sa maison famille. Mais surprise, C, la sœur de A, lesbienne récemment plaquée, également déprimée, s'est réfugiée dans la fameuse maison. Le soir venu, B et C s'enivrent et couchent ensemble. Là-dessus, au petit matin et au grand dam de nos deux fornicateurs, A débarque sans prévenir pour faire la surprise à B qu'elle croyait seul. Vous me suivez jusqu'ici ? Bon, pour ceux qui se seraient perdus en route, je résume : A+B=0 et B+C =X donc A+B+C=.... ??? Eh bien oui, il faut quand même voir le film pour connaître la suite et la fin de cette équation mathématique hautement complexe. Toujours est-il que cette situation riche en quiproquos et autres malentendus engendre au fil du récit des  gags et moments savoureux, mais distille aussi des instants de tendresse et de tristesse sincères et authentiques qui émouvront les plus sensibles et les fleurs bleues.  Les autres regretteront que l'épreuve traversée par les personnages après le nœud de l'intrigue et son lot de révélations n'entraîne au final que peu de heurts, la crise étant résolue de manière un peu facile, à la façon d'une chanson pop bien rythmée et agréablement sucrée, aux paroles joliment agencées et parfaitement scandées,  mais malgré tout un peu mièvre et insignifiante.  On se plaît ainsi à imaginer ce qu'une réalisatrice plus rohmerienne ou, différemment, plus apatowesque serait parvenue à faire d'une telle histoire et de ses conséquences morales et spirituelles.

 

 



Et puis la journée s'est achevée sur l'évènement Deauvillais du jour, à savoir la projection-gala en avant-première de Jason Bourne : l'héritage en présence d'une bonne partie de l'équipe du film dont vous trouverez la critique détaillée ici et dont l'accueil, d'après les échos qui nous ont été rapportés, a été plutôt mitigée. En revanche le cocktail et la fête qui ont suivi pour célébrer non seulement le spin-off précité mais encore les 100 ans du studio à l'origine de la franchise en question, cette vieille baderne d'Universal et son extraordinaire patrimoine, semblent avoir eu un incontestable et franc succès aux dires des unes et des autres, surtout des unes d'ailleurs puisque les sirènes en escarpins et minishorts ont déclaré avoir fortement apprécié Jeremy Renner, je cite de source sûre, « un mec qui transpire le cul» ©les filles. Elégant non ?


Le dimanche ensoleillé qui a succédé au soleil de leur nuit (à elles !) -à savoir Jeremy Renner, donc, pour ceux qui sont attentifs- s'est ouvert par la projection du quatrième film de la compétition, Una Noche, (une nuit en français pour les non hispanophones), chronique désenchanté et désespérée de trois adolescents cubains tentant de fuir La Havane dans une embarcation de fortune à destination de Miami. Tiens, tiens, encore un trio comme dans Your Sister's sister (cf. ci-dessus) et encore un triangle amoureux avec un garçon au centre des convoitises sauf qu'il s'agit cette fois d'un frère et d'une sœur. Sans concession  mais également sans complaisance, la réalisatrice s'éloigne de tout exotisme et évite le misérabilisme chic type Les Cendres d'Angela pour brosser le portrait d'une génération perdue, sacrifiée et livrée à elle-même dans un pays sans avenir où les seules possibilités qu'il reste à l'individu pour s'accomplir et se réaliser en tant qu'être humain sont la baise, le menu larcin et le trafic en tous genres (objets, médicaments, denrées alimentaires, corps etc.) On est ici très loin de la vision occidentale et surtout européenne d'un Cuba utopique de carte postale « où les gens ont grave le rythme dans la peau, sont trop sympas et hyper accueillants et font super bien de la musique ». Una Noche serait en quelque sorte la Face B du Buena Vista Social Club. Et puis on n'avait plus vu Cuba (et La Havane en particulier) comme ça depuis le virtuose Soy Cuba (I am Cuba) de Mikhail Kalatozov.

Avant de voir son désopilant et cauchemardesque Killer Joe dont vous trouverez la critique complète ici, nous avons assisté à la Leçon de cinéma de Monsieur William Friedkin puis à l'hommage officiel qui lui a été rendu le soir même. Débonnaire, généreux, intarissable et volubile, le réalisateur américain de 77 ans (qu'il ne fait pas) a exécuté un véritable one-man show en stand up pendant 2h30 d'explications, d'anecdotes, de blagues et d'aphorismes sur sa vie, son œuvre, le cinéma et l'art en général. Gourmand, curieux et passionné, Friedkin a pris un plaisir immense à rencontrer son public et cela s'est ressenti. Assurément un moment inoubliable pour tous les cinéphiles et les professionnels présents dans la salle.

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

   

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