Top science-fiction n°4 : Metropolis

Jean-Noël Nicolau | 11 décembre 2009
Jean-Noël Nicolau | 11 décembre 2009

Pour lancer le compte à rebours avant l'évènement Avatar qui sortira sur nos écrans le 16 décembre prochain, la rédaction d'Ecran Large a remis le bleu de chauffe et a recommencé à se plonger dans une classement impossible.

Après vous avoir proposé notre classement des 31 meilleurs films d'horreur dans l'histoire du cinéma, nous avons opté pour l'univers de la science-fiction et ainsi d'élire ce qui sont pour nous les 31 meilleurs films du genre. La règle de ne pas avoir plus d'un film par cinéaste ne s'applique pas ici (c'était au dessus de nos forces pour certains réalisateurs).

La seule règle que l'on a décidé d'appliquer (et qui sera critiquable comme beaucoup de règles) : un film qui était déjà dans notre classement de l'horreur ne pouvait pas réapparaître dans ce nouveau classement.  14 membres de la rédaction ont donc été invités à envoyer leur liste de leurs 70 films préférés.

A partir de ces listes, on n'a gardé que les films cités plusieurs fois par chacun d'entre nous. On a alors resoumis la liste finale à un vote pour obtenir le classement final que nous allons vous faire découvrir quotidiennement jusqu'au 16 décembre 2009 qui révèlera le numéro 1 de la rédaction.

Un éclairage par jour durant 31 jours sur des incontournables du cinéma de science-fiction.  Et en guest star pour commenter nos choix, on retrouve Vincenzo Natali, le réalisateur de Cube, Cypher, Nothing et du très attendu Splice, étant un parfait ambassadeur du futur de la science-fiction au cinéma.

 

4 - Metropolis (1927) de Fritz Lang

Vincenzo Natali : Il y a de nombreux montages différents de ce classique. A ma grande honte je dois avouer que celui que je connais le mieux est la version de Giorgio Moroder (j'avais l'affiche dans ma chambre pendant des années). Oui, je parle de celle avec la musique rock. Mais vous savez ? Cela fonctionne. Et même si cela outrage les puristes, je peux vous affirmer que même Bonnie Tyler ne peut pas nuire à la vision futuriste de Fritz Lang et à sa beauté art déco. Une création qui a trouvé échos (je devrais dire : qui a été canibalisée) par un nombre incalculable de films de SF qui ont suivi, en particulier Star Wars et Blade Runner.

Luc Besson : "C'est un classement de journalistes !... Je vous remercie de ne pas avoir mis le 5e élément... Heureusement que c'est pas le même pour les spectateurs !"

Patrick Antona :

Film monumental, visuellement époustouflant et en avance sur son temps, auquel même un scénario à l'issue toujours aussi crétine n'a pas réussi à égratigner la magnificence.

Laurent Pécha :

Fritz Lang est passé...les autres n'ont plus eu qu'à copier. Et ça fait plus de 80 ans que cela dure !

Jean-Noël Nicolau :

Surplombant l'histoire de la SF par sa richesse et sa magnificence, Metropolis reste l'instant fondateur de tout un genre

 

 

 

Bien sûr Metropolis n'est pas le premier film de science-fiction de l'histoire du cinéma. On pourrait sans problème remonter au Voyage dans la Lune de Georges Méliès, et à une multitude d'autres avant d'en arriver au long-métrage de Fritz Lang. Pourtant, d'un point de vue historique, la science-fiction en tant que genre cinématographique, semble prendre sa source ici. C'est dans cette ville du futur, dans cette anticipation d'une société totalitaire et aliénante que certains thèmes trouvent leur première incarnation. Ici apparaît Maria, le premier androïde du 7e art, celui dont la descendance s'étend de Blade runner à Ghost in the shell en passant par Star Wars. Et, bien avant son règne, la SF accède avec Fritz Lang au statut de blockbuster à grand spectacle.

 

 

 

En avance sur son temps, Metropolis fut une « anomalie ». Après ce monument, le genre retourna à la série B, au divertissement du samedi soir, à l'obscurité. Jusqu'à Stanley Kubrick et son 2001, elle eût bien du mal à être prise au sérieux. Peut-être les difficultés liées à un tournage dantesque et la postérité immédiate très discutable de l'œuvre ont-elles aussi joué en défaveur de la science-fiction au 7e art. Qui voudrait perdre un œil en créant un film ? Qui aimerait que son chef-d'œuvre devienne l'un des films préférés d'Hitler et de Goebbels ? Mais en même temps, serions-nous encore si extatiques et parfois si polémiques autour de Metropolis s'il n'était pas taillé dans le marbre des plus grands mythes cinématographiques ?

 

 

 

Eliminons déjà les reproches habituels assénés par les jeunes générations. Oui, le film accuse son âge. Oui, il n'est pas rythmé comme le dernier Michael Bay, oui, c'est un peu poussiéreux et parfois un peu laborieux. On peut avoir du mal à tenir la vision de la version la plus longue du film d'une seule traite, c'est normal. Il ne faut pas pour autant se décourager. Comme beaucoup de grandes œuvres du muet, Metropolis ne se donne pas aisément, il se mérite. Les fulgurances visuelles aidant à pénétrer une histoire débordant de symboles et autres allégories. La première des sources de Lang est bien sûr la Bible, citée par passages entiers, de Moloch à Salomé. L'aspect religieux de Metropolis pourra d'ailleurs rebuter, avant de fasciner.

 

 

 

Le principal problème provient des éléments du scénario rédigé par Thea von Harbou, la femme de Fritz Lang. Celle-ci était déjà proche du parti nazi en 1926 et orienta le scénario vers une « collaboration de classes » fasciste à l'opposé d'une « lutte des classes » marxiste. Il n'en fallu pas davantage à Goebbels pour faire entrer Metropolis dans le panthéon des œuvres nazies. Lang en fut durablement blessé et renia son film. Aujourd'hui il est plus aisé de faire abstraction de cette lecture de l'œuvre, dont le message essentiel n'intervient qu'à la toute fin. Dans les deux heures précédentes, Metropolis se construit davantage dans la lutte et l'ambigüité. Conte des faux-semblants et du voyage de l'autre côté du miroir, le film de Lang questionne déjà l'essence de l'humanité face au progrès, à la science et à l'inégalité sociale.

 

 

 

Déshumanisation des masses laborieuses réduites à l'état de numéro (bien avant Le Prisonnier), débauche de l'élite, peuplée de nouveaux dieux vivant dans les cieux et soumission de tous aux désirs et aux tourments les plus triviaux. Du plus grand savant au plus humble ouvrier, tous sont victimes de leurs passions. Il n'y a que l'humilité charitable de la vraie Maria qui semble offrir un peu d'espoir dans cet univers monstrueux qui ferait passer le 1984 d'Orwell pour un sort enviable. C'est aussi cela qui pourra décontenancer le public actuel : l'aspect profondément adulte de cette science-fiction qui refuse presque toute concession au divertissement. Nous sommes dans le discours édifiant, parfois didactique, parfois aussi psychanalytique et influencé par la philosophie autrichienne.

 

 

 

Mais par-delà ces aspects les plus exigeants, Metropolis nous offre des points d'accroche par sa magnificence visuelle. Qu'on y pense : 35 000 figurants, un budget de 7 millions de Marks (du jamais vu à l'époque), 620 kilomètres de pellicule... Et une accumulation de scènes spectaculaires impossible à recréer aujourd'hui (la Tour de Babel avec ses centaines de figurants chauves, l'inondation finale). Comment oublier aussi la « naissance » du robot Maria, avec ses effets spéciaux totalement inédits ? La profusion de maquettes complexes et de décors immenses laisse rêveur. Certes, on peut citer comme influences majeures du film les travaux de l'artiste Paul Citroën (qui créa un photomontage nommé Metropolis en 1923), ainsi que le film russe Aelita (1924). Mais Fritz Lang ajouta tellement à ces œuvres que ne peut pas l'accuser de plagiat.

 

 

 

 Le premier montage atteignait les 210 minutes, mais à force de censure et de coupes, l'essentiel en fut perdu. La version qui remit Metropolis au goût du jour durait... 80 minutes ! Il s'agit du remontage colorisée et mis en musique par Giorgio Moroder en 1984. Fameuse pour le scandale qu'elle suscita, elle fit pourtant énormément pour la redécouverte du film. Producteur disco et compositeur de musiques de films synthétiques, Moroder demanda à certains artistes de l'époque de venir chanter sur les images de Lang. Le résultat était pour le moins très discutable. Entendre Freddie Mercury (le leader de Queen) entonner Love Kills ou subir les bramements de Pat Benatar et Bonnie Tyler a de quoi provoquer des arrêts cardiaques. Aujourd'hui cette version est devenue très rare, n'étant pas rééditée en DVD, pourtant son importance historique est indéniable.

 

 

 

Depuis, la restauration de Metropolis est un travail sans fin. Une version de 153 minutes est actuellement la plus répandue. Mais durant l'année 2009, un travail extrêmement minutieux a été effectué à partir de négatifs miraculeusement retrouvés. Il est prévu qu'en 2010 nous puissions découvrir un montage quasi intégral (à une scène perdue près) de Metropolis, donc dans une version de plus de trois heures. Il est rare, mais jamais impossible, qu'un chef-d'œuvre connu de tous se dévoile sous un tout nouveau jour par la grâce de l'acharnement de cinéphiles passionnés.

 

 

 

Inépuisable, Metropolis offre une quasi infinité de grilles de lecture. On pourra un jour s'extasier sur la beauté de Brigitte Helm, qui devint une icône du 7e art par son interprétation de Maria. Plus tard, on se questionnera sur la création des effets spéciaux et l'utilisation des miroirs permettant de situer des acteurs à l'intérieur de maquettes. Ensuite au reviendra aux explications de l'œuvre, à la quête de ses sens. Mais toujours on y reconnaîtra une pierre angulaire, de celles qui fondent et soutiennent tout un genre. On pourra ne pas aimer Metropolis, on pourra le ranger soigneusement dans une dvdthèque qui prend la poussière, mais il ne faudra jamais le méconnaître ou le mépriser, car c'est ici que la science-fiction que l'on aime a trouvé sa source.

 

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