Top science-fiction n°18 : Predator

Jean-Noël Nicolau | 29 novembre 2009
Jean-Noël Nicolau | 29 novembre 2009

Pour lancer le compte à rebours avant l'évènement Avatar qui sortira sur nos écrans le 16 décembre prochain, la rédaction d'Ecran Large a remis le bleu de chauffe et a recommencé à se plonger dans une classement impossible. Après vous avoir proposé notre classement des 31 meilleurs films d'horreur dans l'histoire du cinéma, nous avons opté pour l'univers de la science-fiction et ainsi d'élire ce qui sont pour nous les 31 meilleurs films du genre. La règle de ne pas avoir plus d'un film par cinéaste ne s'applique pas ici (c'était au dessus de nos forces pour certains réalisateurs). La seule règle que l'on a décidé d'appliquer (et qui sera critiquable comme beaucoup de règles) : un film qui était déjà dans notre classement de l'horreur ne pouvait pas réapparaître dans ce nouveau classement.  14 membres de la rédaction ont donc été invités à envoyer leur liste de leurs 70 films préférés. A partir de ces listes, on n'a gardé que les films cités plusieurs fois par chacun d'entre nous. On a alors resoumis la liste finale à un vote pour obtenir le classement final que nous allons vous faire découvrir quotidiennement jusqu'au 16 décembre 2009 qui révèlera le numéro 1 de la rédaction. Un éclairage par jour durant 31 jours sur des incontournables du cinéma de science-fiction.  Et en guest star pour commenter nos choix, on retrouve Vincenzo Natali, le réalisateur de Cube, Cypher, Nothing et du très attendu Splice, étant un parfait ambassadeur du futur de la science-fiction au cinéma.

 

18 - Predator (1988) de John McTiernan

Vincenzo Natali : Qu'est ce film fait dans la liste ? D'accord, Predator est un bon film d'action. Il est très bien fait, mais il y a tellement de films beaucoup plus importants qui ne sont pas cités. Comment les films d'Andréi Tarkovski, Solaris et Stalker, ont-ils pu être battu par cette série B infantile dans leur entrée au Panthéon de la SF ?

Jean-Noël Nicolau :

Beeeeeeeaaaaarrrrrgh ! C'est débile, mais qu'est-ce que c'est fun. Tout simplement le meilleur film de bourrins des années 80 !

Stéphane Argentin :

Une partie de chasse hautement jouissive en pleine jungle par l'un des maitres du cinéma d'action.

    

 

 

Predator... Il est inenvisageable de ne pas être dithyrambique lorsque l'on évoque le Predator de John McTiernan: plus de vingt ans après sa sortie, ce chef d‘œuvre de la science-fiction est encore une énorme leçon de cinéma. Et s'il est au croisement des genres, à sa découverte une évidence se fait soudain: ce monument du film bourrin n'a pas pris une ride, toujours habité d'une incroyable efficacité et mué d'une énergie rare et indicible. Predator sera un film culte dès sa sortie en 87. Apprécié unanimement  comme un divertissement exceptionnel, il conquerra les différents publics en prenant tour à tour quelques allures bien différentes: épopée guerrière, actioner bourrin, aventure palpitante, thriller fantastique, épisode horrifique et enfin survival, il sera surtout reconnu comme un authentique bijou de la science-fiction. Une œuvre aux multiples facettes à l'image de son monstre, chimère adepte du safari et qui restera invisible pendant l'essentiel du métrage pour ne se laisser découvrir que lors de quelques instants habilement disséminés! A ce jour et pour cette raison, Predator reste une énigme passionnante. Et cette faculté à se renouveler consacrera définitivement le film au statut de monument impérissable. Car malgré ses multiples suites légitimes et déclinées, l'intrigue de ce premier volet se fait toujours aussi excitante et hallucinante. Une gloire inattendue pour un projet pourtant amorcé par une blague...

 

 

 

Toute droite sortie de l'imagination des frères Thomas, l'intrigue est imaginée suite à une discussion consacrée à la série des Rocky: l'un des deux évoque le fait que le seul adversaire que n'ait pas combattu Balboa est assurément E.T. l'extra-terrestre! Décidés à rédiger cet affrontement qui se devra d'être titanesque, ils parviennent à vendre le scénario de The hunter à la 20th century fox. Un script pas vraiment original puisqu'il reprend les bases des Chasses du comte Zaroff à la sauce sf et bodybuildée mais qui intéresse les studios, soucieux de dénicher une nouvelle franchise: telle qu'elle se présente, celle-ci est envisagée comme une série b populaire et burnée gardant la porte ouverte à une flopée de suites! D'ailleurs en embauchant John McTiernan, jeune réalisateur de l'honnête Nomads, ils ne se doutent pas une seule seconde de la tournure que vont prendre les évènements. Car McT se résonne sans arrêt pour ne pas tomber dans la facilité et refuse de n'être qu'un simple faiseur. Il instaure lentement mais surement quelques bases invisibles et envisage l'entreprise comme le plus gros défi de sa carrière: on lui demande un produit calibré, il en fera un chef d'œuvre! Aussi il revisite l'intégralité du scénario, appréhendant les scènes et glissant d'une séquence à l'autre avec la perspective de faire basculer le film dans un autre genre à chaque rebondissement. Il sera impossible alors d'envisager la suite, d'en prévoir le dénouement:  au final, la brutalité générale et l'envie d'exister du film se ressentiront à chaque seconde.  Sur un thème guerrier initialement confié à Jerry Goldsmith mais relégué à Alan Silvestri, le spectateur se perd dans les méandres du métrage, les notes étant bien les seules à laisser présager le jusqu'au-boutisme de l‘aventure.

 

 

 

 

McT ne cesse de se poser les vraies questions quand à la mise en image d'une intrigue qui risque de passer pour une série b animique: l'opportunité est trop importante pour échouer si prêt du but et la nouvelle mouture du scénario possède une rare variété de pistes que le réalisateur ne se lassera d'explorer. Et ce jusque dans son dernier plan décrivant un héros fatigué, boueux, sanglant et désabusé... Un personnage pourtant intelligemment sculpté à l'image de son acteur Arnold Schwarzenegger, colosse auréolé d'une réputation d'homme indestructible: célébré pour ses rôles dans Terminator et dans le diptyque consacré à Conan, il est ici pris à contre-emploi, les muscles étant finalement assez dérisoires face à l'intelligence et à la stratégie. Un gaillard robuste et invincible qui, au début, faisait son cador pour avoir plus d'une fois défié l'enfer mais qui, soudain, sera confronté à bien pire. Car la grande intelligence du film sera bel et bien d'opposer les mecs les plus balaises de la planète pour mieux les dessouder un par un: une formule efficace et maintes fois éprouvées mais qui aura fait ses preuves jusqu'à récemment dans le Aliens de James Cameron. Le redoutable Schwarzy/Dutch débarquera donc dans la jungle tropicale escorté d'une escouade d'impitoyables: que ce soit par Dillon, ce « sale petit enfant de putain » interprété par Carl Weathers (éternel Apollo Creed), ou par le mastodonte Jesse Ventura, le casting est composé des plus épouvantables guerriers qu'il soit! Si le violent Sonny Landham, (suivi en permanence d'un garde du corps pour enrayer ses pulsions sanguinaires sur le plateau) offre ses traits amérindiens au spirituel Billy, cette vielle trogne de Bill Duke joue un Mac à deux doigts du suicide et le rachitique et scénariste Shane Black insère un zeste de perversité à cette horde sauvage!

 

 

Black est en fait imposé par la production: en effet, celle-ci compte sur l'auteur de L'arme fatale, un geek absolu, pour s'occuper des relations de presse! McT lui offre donc le petit rôle de Hawkins, franc-tireur à l'humour foireux et qui se fera allumer assez rapidement: Black, trop heureux, en oubliera les recommandations des studios et en profitera pour rédiger, lors des heures creuses, les premières lignes du futur Dernier samaritain! Des temps libres et rares, l'ensemble de l'équipe, Schwarzy et Ventura en tête, se prenant réellement au jeu: s'étant éclatés comme des brutes durant les semaines de préparations intensives en camp militaire, ils renouvellent leur souhait d'un tournage à la dure et organisent un emploi du temps viril et testostéroné! Défis physiques, entrainements intensifs dès cinq heures du matin, tout le monde y passe et tente de devenir de vrais guerriers. La vedette perd ainsi plus de douze kilos et repousse ses limites à l'instar de McTiernan qui, encouragé par son ami John Milius, se lance dans une mise en scène extrême et exigeante: il va même jusqu'à se briser le poignet lors d'une prise mais refuse de quitter le tournage!

 

 

 

 

Une troupe monstrueusement solide qui devra s'opposer à un prédateur encore plus puissant. D'abord pensé dans le scénario comme un cyclope au croisement du chien et de la girafe, le réalisateur confie au génie Stan Winston d'en concevoir le design définitif: il redessine alors intégralement la « gueule de porte-bonheur » la plus célèbre du cinéma, son complice James Cameron, déjà inventeur de la reine Alien, lui suggérant les mandibules! Le guerrier mythique aux Dreadlocks a enfin un look mais hélas il n'a pas vraiment d'interprète. S'il passera une grande partie du film invisible ou flouté, on envisage d'abord de grimer un singe et de le faire sauter de branche en branche: tentative vaine puisque l'animal refusera de porter le costume. Une seconde tentative, plus prometteuse mais pas inintéressante sera donc proposée. Si on s'accorde sur la technique (un cascadeur dans une combinaison spéciale), l'acteur, lui pose problème: celui-ci, le tout jeune Jean-Claude Van Damme, quitte le plateau après deux jours de prises de vue, n'acceptant pas de ne pas être crédité en tant qu'acteur! Le tournage prend donc du retard et Schwarzenegger est contraint de quitter quelques jours le tournage pour honorer d'autres obligations. Plus tard sera tourné cet affrontement final et légendaire opposant Dutch au Predator, un climax aux chorégraphies compliquées, l'acteur Kevin Peter Hall ayant un champ de vision réduit à cause des prothèses de la bestiole!          

 

 

 

 

Mais McTiernan s'applique et ne fait pas que sauver les meubles:  le futur réalisateur de Piège de Cristal livre une mise en scène fascinante et dévoile une faculté sidérante à rendre chaque événement démentiel. Il transcende, ne rabaisse jamais  une péripétie à un simple épisode. Hormis les fameuses punchlines de la star imposées par contrat, tout est abordé avec un premier degré sacré et il parvient même à affiner les caricatures au fur et à mesure que la compagnie se fait décimée. Les êtres les plus intouchables et les plus méritants de la planète se voient donc abaissés à un vulgaire troupeau de phacochères amenés à être éviscérés. Et l'incroyable intervention du Predator se pare du coup d'une crédibilité sans faille, l'horreur naissant de cet menace invisible que l'atmosphère claustrophobique de la jungle sans fin ne fait qu'exacerber. A ce titre, le métrage s'impose alors comme un passage obligé dans l'univers cinéphile puisque toutes les caractéristiques narratives seront prises en compte et réinventées pour mieux surprendre: oser nous réduire le seul être en qui on puisse encore s'identifier à l'état primitif, hurlant flambeau à la main dans un néant angoissant, restera sans doute l'une des images les plus terribles du métrage.

 

 

 

 

Predator premier du nom fait office de pierre angulaire dans la panorama cinématographique: prodige dans tout ce qu'il tente d'accomplir, il s'impose comme un événement incontournable dès ses premières secondes et se sort aisément du carcan d'une période dédiée au divertissement pour mieux s'illuminer d'un manteau éternel: celui du film guerrier et barbare par excellence, extrême et radical et finalement tout aussi subtil que les classiques de genres plus honorables. Car la notion d'ultime fait partie du jeu et chaque plan devient un casse-tête pour qu'il s'affilie dans une logique exponentielle d'un scénario aussi roublard que celui du Delivrance de Boorman. Pour toutes ces raisons, Predator est un chef d'œuvre intemporel.

 

FLORENT KRETZ

 

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