Star Trek : l'avenir du futur - Première partie

Patrick Antona | 5 mai 2009
Patrick Antona | 5 mai 2009
« Espace, frontière de l'infini vers lequel voyage notre vaisseau spatial... »

 

Lorsque Gene Rodenberry, producteur de télévision spécialisé dans le genre policier, proposa à la NBC, en 1964, une série d'anticipation sérieuse et ambitieuse, au nom de Star Trek, on était loin de s'imaginer que, près d'un demi-siècle plus tard, ce simple show TV sur l'exploration de l'Univers par des humains portant des pyjamas bariolés serait devenu un des phénomènes médias des plus emblématiques de la culture américaine et de la SF en général.

 

Surfant sur l'engouement que le peuple américain avait alors pour la conquête spatiale, Rodenberry élabore une véritable histoire du futur, ponctuée par ses fameuses « stardate », où, dans des lendemains radieux pour l'humanité situés au XXIII° siècle, les intrépides passagers du vaisseau Enterprise seraient les hérauts de la civilisation à travers les galaxies. Chaque épisode serait l'illustration d'une des missions du fleuron de la flotte spatiale (« Starfleet ») où son équipage sera en but aux merveilles et dangers de l'inconnu semaine après semaine. Progressiste en diable, Rodenberry veut un équipage multi-racial, incluant aussi des extra-terrestres (à l'origine Spock avait la peau rouge), et se veut optimiste quant à la manière dont l'humanité a évolué, à savoir en harmonie une fois les désastres passées, devenue vertueuse et pacifique, et surtout respectueuse des nouvelles civilisations qu'elle serait amenée à rencontrer. Ce qui dans les années 60 représente une petite révolution, car avec la Guerre du Vietnam qui s'annonce, les temps sont plus à la crispation politique et militaire qu'à l'ouverture sur les autres (en l'occurrence le Bloc Communiste).

 

 

Le premier pilote de la série qui est présenté aux cadres du network américain en 1965, « The Cage »,  préfigure déjà une bonne partie de l'Univers « trekkien » tel que nous le connaissons. Pas de capitaine  Kirk encore, mais un dénommé Pike (interprété par le chevronné Jeffrey Hunter vu dans La Prisonnière du désert ou Le Roi des Rois), le vulcain Spock est bien présent avec ses oreilles pointues et déjà incarné par Leonard Nimoy (Martin Landau fut pressenti un temps pour le rôle) mais il n'est pas encore second, c'est l'androïde féminin Number One (Majel Barrett, qui deviendra Mme Rodenberry par la suite, et gardienne du temple sacré « trekkien ») qui s'y colle. Mais les éléments important, tel que les phaseurs, les communicateurs, la téléportation (choisie par soucis d'économie), la passerelle de commandement, le look du vaisseau USS Enterprise, et une volonté d'approche psychologique sont déjà bien présents. Cet épisode 0 sera recalé par l'état-major de NBC, car jugé comme trop cérébral, mais  la série n'est pas enterrée pour autant car un second pilote est à nouveau commandé. Chose rare mais qui démontre que le potentiel avait été bel et bien détecté, nonobstant quelques améliorations demandées à Gene Rodenberry.

Exit Pike, il est remplacé par le bouillonnant et charismatique capitaine Kirk (William Shatner) dont l'humeur aventureuse est tempérée par la froideur et l'imparable logique de Spock, devenu second du navire. Autour de ce duo devenu emblématique avec le temps, viennent s'agréger le médecin-chef McCoy (Deforest Kelley), premier confident du capitaine et râleur impénitent qui prend un malin plaisir à s'opposer à Spock, la spécialiste en communication Uhura (Nichelle Nichols), un des premiers rôles de femme noire dans un but non décoratif à la TV, le navigateur Sulu d'origine asiatique (George Takei), et le mécano en chef, l'écossais et vivant Montgomery Scott (James Doohan). Et changement encore plus marquant, les tenues brunes et austères du premier pilote sont abandonnés au profit d'uniformes seyant et prêts du corps, aux couleurs variées, avec obligation du port de la jupe sexy courte pour ces dames, tous affublés du fameux insigne de triangle inversé, symbole de Starfleet, qui deviendra un des produits de merchandising majeurs de la série.

 

 

 

Diffusé en septembre 1966, l'épisode « Where no man has gone before » est un véritable bouleversement du petit monde de la télévision, qui, malgré des scores d'audience moyens, enflammera le public des passionnés de SF (on ne parlait pas encore de « geek » à l'époque) et propulsera la série pour trois saisons consécutives. Dès le début, Gene Rodenberry s'est adjoint les services de romanciers chevronnés du genre tels que Harlan Ellison, Richard Matheson, Theodore Sturgeon ou encore Robert Bloch pour illustrer tous les thèmes récurrents du space-opera. Attachés à approfondir la psychologie des personnages, même si elle demeure souvent archétypale, les créateurs de la série vont s'évertuer à faire de cette anticipation un véritable univers cohérent, avec une technologie futuriste qui s'appuie sur des éléments physiques concrets, ainsi que sur l'élaboration d'un code moral, la « prime directive » qui interdit de bouleverser les mœurs étrangères. Cette volonté de sérieux fera que la série sera grandement appréciée et défendue par la communauté scientifique américaine qui comptera nombre de trekkies (les fans auto-proclamés s'appelant ainsi dès 1967) parmi ses membres, et que des termes utilisé dans la série comme téléportation, vitesse de la lumière, ordinateur, nébuleuse, culture hydroponique et d'autres entreront dans le vocabulaire des petits américains d'alors. L'influence de la communauté soudée autour de la série se fera sentir dès janvier 1967, où la volonté affichée de NBC de remettre la série aux standards plus orientés pour enfants se verra combattue par une campagne menée par Harlan Ellison, qui fera inondé de milliers de lettres de mécontentement le service presse du Network ! 

 

 

A part quelques modifications au début de la série, comme des changements d'affectation pour des membres d'équipages et l'introduction du désormais célèbre carnet de bord du capitaine, les 29 épisodes de la première saison permettent de poser les éléments de base de la série. En premier lieu les périls récurrents auxquels seront confrontés les voyageurs de l'Enterprise comme les civilisations concurrentes des Klingons et Romulans (« Balance of Terror »), la menace des super-ordinateurs tyranniques ou des androïdes (« What Are Little Girls Made Of? »), les phénomènes que sont le voyage dans le temps (« Tomorrow is yesterday ») ou l'irruption de nouvelles maladies (« The naked Time »). La série peut déjà s'enorgueillir de deux véritables chefs d'œuvre du genre. D'abord avec l'épisode « Arena », adapté d'une nouvelle de Frederic Brown, qui voit Kirk affronté en duel le colosse reptilien Gorn pour le devenir de l'humanité. Mais c'est « The City on the edge of Forever » avec Joan Collins où sont évoqués pour la première fois les dangers des paradoxes temporels et qui verra Kirk obligé de faire un choix funeste pour garantir la bonne marche du futur qui est souvent cité comme un des « must ». Le personnage de tête brûlée et de Don Juan invétéré étant solidement établi pour Kirk (et collant bien à la personnalité de William Shatner), c'est le personnage de Monsieur Spock qui se verra étoffé au gré de ces premières aventures, sa nature de métis (sa mère étant humaine) le situant dans une position ambivalente où sa logique est parfois mise à défaut par ses sentiments, et prouvera sa maîtrise martiale avec la fameuse prise vulcain. Adoubé comme le personnage préféré pour de nombreux spectateurs. Leonard Nimoy se sentira quelque peu prisonnier de son avatar télévisuel pendant de nombreuses années, tentant un temps de se débarrasser de cette image trop prégnante puis reconnaissant que Monsieur Spock lui a apporté une certaine philosophie de la vie, fondée sur la tolérance et le respect de la culture, en plus d'une gloire internationale !

 

 

 

Après des nominations aux Emmy Awards de 1967, Star Trek est reconduite pour une seconde saison, qui elle aussi sera menacée d'arrêt impromptu par la NBC, les chiffres étant désespérément moyens. Les scénaristes s'attacheront à densifier l'univers trekkien en illustrant pour la première fois le monde de Vulcain (« Amok Time »), en confrontant les nombreuses races constituant la Fédération (« Journey to Babel ») ou en créant l'Univers parallèle où la Terre est un empire malfaisant et fascisant (« Mirror, Mirror »). C'est aussi dans cette saison que les Klingons s'affichent comme les méchants officiels de Star Trek, même si la volonté pacifiste de Gene Rodenberry permet de ne pas verser dans le bellicisme outrancier et de dresser un parallèle évident avec la situation de Guerre Froide et du Vietnam (« A private little war »). Deux des épisodes  de cette année seront à la base de l'histoire du premier long-métrage de cinéma en 1979 , « The Changeling » et « The Doomsday Machine ». Traversé de quelques problèmes inhérents à toute vie d'un show TV (la réduction des budgets limitant les SFX, les plaintes des comédiens se plaignant de l'omnipotence du duo Shatner/Nimoy), la série voit débouler un nouveau personnage, le second navigateur Chekov (Walter Koenig) aux origines russes avérées, preuve de l'unité terrienne acquise dans ce XXIII° siècle utopique, ainsi que de temps à autre l'irruption d'un humour bienvenu tranchant sur l'hermétisme de la série (« The Trouble with Tribbles »). Pendant ce temps, la collaboration avec les talents reconnus de la littérature de SF continue de plus belle, Norman Spinrad s'ajoutant à la liste des contributeurs en idée.

 

Après une nouvelle campagne des fans qui aboutit à la reconduction de Star Trek pour une 3° saison, NBC ne sachant que faire d'une série auquel elle ne croyait plus lui donna un coup fatal en lui confiant la case horaire du vendredi soir à 22h, lui retirant ainsi nombre de spectateurs potentiels. Malgré une volonté pour orienter le show vers une tendance plus aventureuse (parrainé par Fred  Freiberger, futur fossoyeur de Cosmos 1999), le cœur n'y était plus et nombre de collaborateurs de la première heure quittèrent le vaisseau Enterprise pendant la période 1968-1969, alors que la qualité des épisodes baissait sensiblement. On peut sauver « Elaan of Troyus » (première apparition des vaisseaux Klingons de type Birdprey), « The Paradise Syndrome » avec ses amérindiens transposés dans une planète menacé de cataclysme, « The Tholian Web », épisode qui aura des impacts dans les spin-offs à venir et surtout « Plato's Stepchildren » qui verra le premier baiser entre noir et blanc à la télévision américaine, une nouvelle révolution à mettre à l'actif de Star Trek qui  démontrait qu'elle pouvait déborder des clivages imposés alors. Mais las, le 3 juin 1969 voit la diffusion du dernier épisode de cette série, celle que l'on appelle communément The Original Series, alors que le succès de la mission Apollo le 20 juillet 1969 sur la Lune ne faisait que renforcer la passion des voyages interstellaires pour le public, suprême ironie.

 

 

 

Ce qui aurait dû être une expérience sans lendemain se transforma alors en success story par des voies bien particulières. En 1970, la Paramount rachète la série et commence à diffuser les épisodes originaux sur les réseaux régionaux, qui sont alors en pleine explosion. Ce moyen de programmation tous azimuts appelé « syndication » va générer une toute nouvelle audience à la série et lui assurer une pérennité inespérée, d'autant que le mouvement des trekkies prend de l'ampleur, s'appuyant sur le succès de nombreuses conventions et de fanzines spécialement dédiés. Nombreux sont les artistes à se déclarer comme fan inconditionnel et des écrivains de SF se lancent dans la rédaction de romans contant les aventures « inédites » de l'Enterprise dans ce début des seventies. Comprenant qu'elle repose sur un foyer potentiel à succès, la Paramount décide de remettre la main sur l'Univers Star Trek même si l'opportunité de lancer une nouvelle série mettra du temps à germer.

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