De Battlestar Galactica à Helix : la déchéance spectaculaire de Ronald D. Moore

Geoffrey Crété | 29 mars 2014 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Geoffrey Crété | 29 mars 2014 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Ronald D. Moore n'a pas la renommée d'un J.J. Abrams, mais il en a la carrure dans certaines sphères. La preuve avec Helix, une série fantastique vendue sur son nom de producteur. Diffusée sur SyFy, cette adaptation cachée des jeux Resident Evil a rappelé qu'il est devenu un nouvel espoir de la science-fiction en 2003 avec le remake de Battlestar Galactica, entré au panthéon des meilleures séries contemporaines. Une dizaine d'années et plusieurs échecs colossaux plus tard, la question se pose : Galactica a t-il été un heureux accident dans la carrière ratée de Ronald D. Moore ?

 

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"Sa mission : explorer des mondes nouveaux et étranges, découvrir de nouvelles formes de vie et civilisations, et s'aventurer dans les recoins les plus éloignés de la galaxie."

En 1988, Ronald D. Moore a 24 ans. Parce qu'il n'a rien à perdre, parce que l'époque était probablement moins impitoyable, il s'arrange pour visiter les plateaux de tournage de Star Trek : The Next Generation. Avec un scénario sous le bras, qu'il donne à l'employé chargé de la visite, qui se trouve être l'un des assistants du producteur Gene Roddenberry. Sept mois plus tard, Michael Piller l'achète : ce sera le cinquième épisode de la troisième saison. La success story hollywoodienne commence, avec un deuxième scénario commandé, puis une place dans l'équipe qui débouchera sur un poste de coproducteur lors de l'ultime saison en 1994. Il s'envole ensuite vers une autre planète du système avec un poste de taille dans l'équipe de Star Trek : Deep Space Nine, et s'essaye en parallèle au grand écran avec le scénario du film Star Trek : Premier contact ainsi qu'une version de Mission : Impossible 2 - il sera crédité pour l'histoire.

Le rêve se transforme en cauchemar lors de sa troisième immersion en territoire Klingon avec Star Strek : Voyager, qu'il quitte après quelques semaines, suite aux tensions avec son collaborateur Brannon Braga. « C'était une rupture de confiance. J'aurais quitté n'importe quel job où on ne me laissait pas participer au processus comme ça. J'ai été très déçu du comportement de mon ami de longue date et partenaire d'écriture, qui a dépassé les limites jusqu'à ce que je doive quitter Star Trek, qui signifiait beaucoup pour moi, depuis mon enfance jusqu'à ma carrière professionnelle ».

 

photo, Alice Krige

 

Game of Pern

Mais Ronald D. Moore pardonne à la science-fiction, un genre qui l'a bercé. « J'ai grandi dans un environnement intéressant : une petite ville de Californie, assez petite pour que je sois membre de la fanfare et quaterback de l'équipe de foot. Je pouvais aimer Star Trek et quand même être accepté par ces gens. Je pouvais vivre dans les deux mondes ». Il ne restera donc pas longtemps orphelin : il échoue dans la série oubliée Good versus Evil, puis intègre l'équipe du phénomène pour ados Roswell en 2002.

En parallèle, il développe avec la Warner une adaptation télévisée des romans La Ballade de Pern, une saga de science-fiction féodale, avec des aliens, des chevaliers et des dragons. A quelques semaines du tournage du pilote, alors que tout semble en place, le studio modifie le scénario dans son dos - la rumeur parle d'une version plus proche de Buffy contre les vampires, l'un des grands succès de la Warner, qui touche à sa fin. Lorsqu'il découvre cette envie de dernière minute, Moore claque la porte. Le tournage est annulé, et la série ne verra jamais le jour.

 

Photo Roswell

 

"Are you alive ?"

Le champ est donc libre lorsque David Weick, qui a travaillé avec Ronald D. Moore sur Good versus Evil, lui propose de réaliser une mini-série de quatre heures basée sur Battlestar Galactica, série culte des années 80. Bryan Singer et quelques autres s'y sont cassés les dents, mais leur relecture moderne de l'univers, qui prend la forme d'un remake, convainc Universal.

Comme un bonheur n'arrive jamais seul, la chaîne HBO propose à Moore de travailler sur leur nouvelle série, La Caravane de l'étrange. Consultant auprès du showrunner Henry Bromell, il a une promotion lorsque celui-ci quitte la production après quelques semaines. David Weick supervise donc le tournage de Galactica au Canada. Le destin choisira pour Moore : la première saison de La Caravane de l'étrange peine à trouver son public, alors que Galactica remporte un vif succès sur SyFy. Il quitte donc le freakshow, qui n'aura pas de troisième saison, pour devenir le showrunner de Galactica, commandé sous forme de série classique.

 

Battlestar Galactica S1

 

"So say we all !"

Les fondations de Battlestar Galactica ont de quoi marquer les esprits. Passé par la galaxie Star Trek, Ronald D. Moore explique : « Le vaisseau Voyager n'est pas vrai. Sinon, il n'aurait pas cette allure chaque semaine, après toutes ces batailles. Combien de fois le pont a t-il été détruit ? Combien de navettes ont disparu, pour être remplacées par une autre ? Ce genre de connerie a un effet sur le public. A partir d'un moment, il arrête d'y croire. »

Conséquence directe : les premiers épisodes de Galactica mettent en avant une série de problèmes triviaux, de la pénurie de carburant au rationnement de la nourriture. La mise en scène s'adapte aussi à ce parti pris : « J'aimais l'idée de faire une sorte de documentaire, d'en faire quelque chose de beaucoup plus réaliste que la science-fiction habituelle. Je ne voulais ni du Star Wars ou Star Trek, que je vois comme le côté romantique, ni du Blade Runner ou Matrix, le côté cyberpunk. Je cherchais une troisième catégorie où mettre la série. Je voulais vraiment qu'elle soit terre-à-terre, politique, pour parler de la société d'une manière bien plus agressive. »

L'aspect socio-politique de l'exode spatial occupe le cœur de l'histoire, tandis que l'armée de Cylons, sous ses airs de parabole anti-technologique, soulève une tonne de questions sur la torture, le racisme, le terrorisme et bien entendu la religion. Anecdote amusante : le contrat du mémorable Edward James Olmos stipulait qu'il n'y aurait aucun monstre dans la série, pour s'assurer de ne pas être transformé en super-héros de l'espace.

 

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"God has a plan"

Lorsque Galactica s'achève en 2009, sa lumière a faibli de manière spectaculaire. La méthode de Moore, qui consiste à construire la mythologie au fur et à mesure, sans plan prédéfini à l'avance, a révélé ses lourdes failles. « Une bonne partie est improvisée en terme de développement de l'histoire. Au début de la saison, on a pensé environ 10 épisodes. Ca provoque le chaos et on doit lutter pour changer des choses déjà en mouvement. Mais je trouve que c'est une méthode plus intuitive, plus intéressante et drôle, qui laisse la place à la créativité. Ca a évidemment ses mauvais côtés, parce que parfois on fait de grosses erreurs ». Le dernier épisode confirme les craintes : la série est incapable de tenir ses belles promesses. Pire : elle peine à répondre d'une manière satisfaisante à ses grandes questions, étirées sur plusieurs saisons.

George R.R. Matin, écrivain des livres Game of Thrones, partagera sa déception : « Galactica se termine avec ‘Dieu l'a fait'. Il me semble que quelqu'un a oublié la première règle du scénariste, qui dit que le deus ex machina est une manière merdique de finir une histoire. Ouais, parfois le voyage est une récompense en soit. J'ai beaucoup apprécié ce voyage avec BSG... Mais bordel, personne ne sait-il écrire une fin ? »

 

photo, Katee Sackhoff

 

"Businessmen they drink my wine"

Mais SyFy a aussi une place au banc des accusés, et ce dès la diffusion du pilote : « Ils étaient très inquiets de la noirceur de la série. A tel point qu'ils ont hésité à diffusé 33 comme premier épisode.  Il y a eu un combat, et ils ont laissé tomber, mais ils ont évoqué la possibilité de ne pas les diffuser dans l'ordre. » Ronald D. Moore explique ainsi que la chaîne a testé le premier épisode sur un public type, et reçu des résultats catastrophiques quatre semaines avant la diffusion. « Le bilan disait que personne n'aimait ces personnages, qu'il n'y avait aucune raison d'en faire une série, que c'était trop sombre, trop effrayant. Ils sont devenus livides quand ils ont lu ça, parce que c'était trop tard. Heureusement, c'était trop tard ».

Par la suite, en plus des interminables discussions sur la noirceur de l'histoire, Moore a du lutter pour imposer la construction feuilletonesque de la série, en opposition aux épisodes standalone, accessibles aux nouveaux spectateurs. « Nous en avons fait quelques uns, et ils sont quasiment toujours ratés pour notre série. Ce n'est pas ce que le public veut. » Après une troisième saison très bancale, qui a confirmé la faiblesse de ces épisodes, Moore a gagné : la chaîne avoue à contrecœur que la formule n'est pas adaptée à Galactica. Mais elle en a payé le prix puisque l'identité de la série, tiraillée entre ces deux tendances, en a souffert.

 

Caprica S1

 

The Shape of Things to Come

Néanmoins, l'avenir semble radieux pour Ronald D. Moore lorsque la série tire sa révérence : le public se passionne pour le téléfilm The Plan, disponible quelques mois après le dernier épisode, tandis que Caprica, un spin-off consacré à la création des Cylons, est lancé en fanfare en 2010. Mais après 13 épisodes, Caprica est annulée. L'ère est révolue.

La série noire a commencé l'année précédente avec Virtuality, un téléfilm conçu, à la manière de Galactica, comme le pilote d'une future série, avec Nikolaj Coster-Waldau, Clea DuVall ou encore Sienna Guillory. Mise en scène par Peter Berg, l'histoire se déroule à bord d'un vaisseau envoyé pour une mission de 10 ans vers un autre système. Condamné par de maigres audiences, Virtuality sera délaissé par la Fox. Une non-surprise pour Moore, qui expliquait quelques mois avant : « La Fox m'a dit : ‘C'est une série risquée pour nous, on l'aime, on y croit, mais en fin de compte si ça ne se concrétise pas, ne soyons pas choqués'. Alors on y est allés avec ce sentiment. » La même année, son scénario du remake de The Thing est écarté, tandis que celui de I, Robot 2 tombe dans les limbes des studios.

En 2011, le coup fatal lui est asséné : la NBC enterre la série 17th Precinct après avoir visionné le pilote, qui ne sera donc pas diffusé - il sera dévoilé sur le web par la suite. Une surprise monumentale puisque cet hybride entre Les Experts et Harry Potter a été vendu comme une réunion de la famille Galactica, avec Jamie Bamber, James Callis et Tricia Helfer. Un destin funeste, à ranger aux côtés de trois autres projets qui n'ont pas abouti : The McCulloch, sur une équipe de garde-côtes, un remake de Mystères de l'Ouest ainsi qu'un autre western, Hangtown. « ABC n'a pas donné suite. C'était très frustrant. Ils ont pris une décision stratégique de ne pas faire de western, point final. » Il faudra ajouter à ce cimetière quelques épisodes d'une série Star Wars abandonnée.

 

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« Play God. Pay the price »

Mais Ronald D. Moore ne manque pas de ressources. En 2012, il convainc la chaîne Starz de produire une série adaptée des livres Outlander, connus en France sous le nom de Le Chardon et le Tartan. Considérée comme une romance, l'histoire intègre néanmoins une touche de science-fiction : l'héroïne, une infirmière de la Seconde Guerre mondiale, se retrouve projetée dans le XVIIIème siècle. En parallèle, il développe pour ABC une adaptation du film Chevalier sous forme de série. 

Mais c'est grâce à l'idée d'un autre que sa popularité remonte en 2013 : lorsque Cameron Porsandeh présente Helix à Sony Pictures TV, qui développe Outlander. la production lui demande de chercher un collaborateur expérimenté pour l'aiguiller : « J'ai dit Ron Moore un peu comme un fantasme. Ils lui ont envoyé et il était intéressé alors il a rejoint l'équipe. Ensemble on a établi une mythologie qui se développerait sur toute la durée de la série, et on a été le présenter à Syfy. » Le temps qu'une deuxième saison soit commandée, le mystérieux virus lâché dans la laboratoire secret de Helix aura prouvé sa nature de vulgaire série B, qui contamine chaque parcelle de plaisir coupable avec des twists affligeants.

D'abord perçu comme un beau coup médiatique avec ses affiches estampillées « Par le producteur de Battlestar Galactica », Helix se sera retourné contre l'un de ses créateurs. Moore a beau n'être que producteur, la série, considérée comme son grand retour, aura confirmé toutes les craintes à son égard. Et alimenté la peur ultime : que Battlestar Galactica n'ait été qu'un heureux accident dans sa carrière, et que l'équilibre très fragile de la série était un indice sur ses grosses failles de scénaristes.

 

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To be continued

Ultime espoir : Outlander, sa vraie nouvelle création, déjà vendue comme un Game of Thrones romantique. La première bande-annonce n'a pas été d'un grand réconfort, mais il faudra patienter jusqu'à cet été pour voir si, en l'espace de 16 épisodes, Moore sera capable de renverser la vapeur.

Mais une chose est sûre : l'inoubliable Battlestar Galactica a plus de chance d'être une malédiction dans la carrière de Ronald D. Moore, qui déclarait il y a quelques temps : « J'étais très satisfait de la manière dont Galactica s'est terminé. D'un point de vue créatif et personnel, ça a été une expérience formidable. C'est sans doute le point culminant de ma carrière. » A voir donc si désormais, il est condamné à ralentir tant bien que mal sa dégringolade.

 

 

Helix Saison 1

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