American horror story : Pure arnaque ou grand génie ?

Geoffrey Crété | 30 janvier 2014
Geoffrey Crété | 30 janvier 2014

Lorsque Masters of Horror se termine en 2007, suivi de près dans la tombe par sa petite sœur Fear Itself, la télévision est devenue un environnement hostile à l'anthologie d'horreur, autrefois célébrée avec La Quatrième Dimension, Les Contes de la crypte et Au-delà du réel : l'aventure continue. Car la disparition silencieuse d'une série qui a rassemblé John Carpenter, Tobe Hooper, Joe Dante, Dario Argento, Takashi Miike ou encore Lucky McKee est un bien mauvais présage. Rien n'aura donc poussé Ryan Murphy et son partenaire de crime Bryan Falchuk à se lancer le défi American Horror Story en 2011, hormis le succès monumental de Nip/Tuck et Glee comme assurance. Et rien n'aura pu laisser espérer un phénomène si solide. Après trois ans de service, l'heure de la sentence a sonné.

 

 

American Horror Hystery

Une maison hantée par un homme en latex, une domestique borgne et une trisomique dans le Los Angeles contemporain. Un asile psychiatrique régi par une nonne sadique et un ancien nazi, surveillé par les aliens dans les années 60. Une école de sorcières face à une prêtresse vaudou dans la Nouvelle Orléans. En trois saisons, la série créée par Ryan Murphy et Bryan Falchuk aura réanimé une belle brochette du bestiaire de série Z, et balayé un spectre colossal du cinéma de genre. En 38 épisodes, étalés sur trois courtes saisons, elle se sera placée comme la plus hystérique des récentes créations du petit écran, constamment à la poursuite de ses propres limites. Une ambition à la mesure de sa forme, fragmentée en chapitres distincts, ouverts puis définitivement fermés avec chaque season finale, évacuant ainsi toute bienveillance envers ses héros condamnés par avance. En conséquence, chaque décor sera le théâtre grotesque d'une avalanche de péripéties, massacres et twists, déployés dans le bruit et la fureur avant l'inéluctable tomber de rideau final. En somme : un roller coaster monstrueux, qui procure un plaisir irrésistible.

Cette ascension carnavalesque vers un show ultime, voué à engloutir tout l'héritage du genre, s'est confirmée au fil des années. Sous ses airs de banale série B qui recycle la musique de Psychose et Apparences, la première saison, titrée par la suite Murder House, a surpassé les clichés pour atteindre une superbe conclusion glaciale. La démentiel le Asylum a enfoncé toutes les portes possibles et imaginables lors d'une virée aux frontières du réel, d'une audace de tous les instants. Plus serrée, Coven aura toutefois confirmé l'appétit vorace d'une série qui parade avec une mythologie folle, concentrée en une dizaine d'épisodes de plomb. Avec à chaque chapitre la même impression : rien n'est impossible, tout est probable.

 

 

Le diable s'habille en rafales

Mais American Horror Story a les défauts de ses qualités. Comme Asylum, Coven renferme assez de matériau pour trois films, condensés en treize épisodes symptomatiques d'un déséquilibre chronique au niveau créatif. La série aura donc définitivement révélé sa nature : celle d'un ogre obscène, qui se goinfre d'idées jusqu'à frôler la surdose, mais qui laissera la sensation d'une carcasse vide de sens, et d'émotions. Résumer les deux premiers épisodes de Coven reviendra donc à partir d'une cousine de Malicia des X-Men, envoyée dans une école de sorcières à la Nouvelle-Orléans, où elle sera enfermée dans une romance de second plan tandis que la Suprême, en manque de jeunesse comme la Meryl Streep de La Mort vous va si bien, ramènera une ancienne sadique raciste des entrailles de la ville pour narguer une prêtresse vaudou qui lui a refusé l'immortalité. La foire aux monstres sera ensuite illustrée par une vieille sorcière qui récite du John Keats et hurle le nom de Balenciaga, une mère white trash incestueuse, une grenouille de bénitier qui tuera son fils pour masquer le meurtre de son mari, une fan de Stevie Nicks terrorisée à l'idée de disséquer une grenouille, une starlette hollywoodienne incarnée par la nièce de Julia Roberts, ou un disciple de la mafia des chasseurs de sorcières. Parfois évacués en un épisodes, parfois ramenés de manière arbitraire, ils hantent les décors sans les imprégner, vulgaires bouffons manipulés par des scénaristes décomplexés. Un choix assumé, mais problématique lorsque la série se penche vers le cœur du spectateur. Car en l'espace de dix minutes, il lui sera demandé de passer outre la mort atroce d'un personnage, mais de s'intéresser aux aveux larmoyants d'un autre.

 

 

Avec le recul, Asylum a été sauvé d'une overdose mortelle par un centre émotionnel clair : Lana Winters, héroïne, victime puis bourreau d'une histoire aux ressorts abracadabrantesques. D'une richesse folle, incarnée par l'excellente Sarah Paulson, elle aura habillé la saison entière, du premier épisode à la dernière séquence. Coven a failli à cette mission, la faute à une narration chaotique qui passe moins de temps à explorer ses personnages qu'à les tuer puis les ressusciter - une mauvaise pirouette qui a anéanti toute crainte chez le spectateur. En outre, la présence de certains personnages relève plus de la distraction pure et simple, à l'image d'une Kathy Bates qui donne une valeur artistique à la série, sans y apporter le sens espéré. Axé sur la maternité et le narcissisme, avec un fantastique trio de mères immondes, Coven se sera éparpillé, embrouillé, emballé. Il en va de même du côté de la mise en scène excessive, qui use et abuse des focales courtes, images retournées et steadicam sous acide, pour insufler aux décors une folie artificielle. Enfin, le malheureux double numéro musical de Stevie Nicks rappelle que The Name Game a bel et bien été une brillante idée dans Asylum.

 

 

Funny Games

Dans la foulée de Nip/Tuck, la chaîne FX est restée l'antre du mal de Ryan Murphy, qui y officie avec le même principe : le plaisir, coute que coute, à n'importe quel prix. Dans les deux séries, le personnage n'est qu'un pantin asséché, privé de toute cohérence, manipulé pour le bien d'une plus grande cause : le désir, de préférence coupable, du spectateur. La partouze familiale a muté en massacre général, la circoncision maison, en coups de ciseaux dans les yeux, et la chirurgie esthétique, en potion magique, mais l'intention reste la même : décortiquer les fantômes de l'american dream. Après la famille, la filiation, la religion ou encore le puritanisme, le racisme a été au cœur de cette troisième saison, qui a de nouveau réanimé un pan du cinéma de genre dans la case très stricte de la mini-série.

De cette effervescence découle un plaisir immense : celui d'assister à la remise en marche d'une vieille locomotive abandonnée par les maîtres de l'horreur, moins frileux en matière de mauvais goût et caricatures. Un mal pour un bien, qui offre une délicieuse alternative aux Insidious et autres Sinister - finis les jump scare, place au grand guignol. Déterminé à ne pas se laisser bouffer par le succès, Ryan Murphy a abandonné l'idée d'un spin-off de Coven lorsqu'il a réalisé qu'il aurait du épargner quelques personnages. Il y a du bon et du moins bon dans American Horror Story, mais une certitude avant toute chose : le sang n'a pas fini de couler.

 

 

American Horror Story reviendra en octobre 2014. L'action se déroulera en partie dans les années 50, avec Jessica Lange, Sarah Paulson et des Allemands. 

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