Critique : Macunaíma

Nicolas Thys | 2 juillet 2007
Nicolas Thys | 2 juillet 2007

L'ensemble du film est à l'image d'une séquence singulière, pleine d'humour noir et d'ironie grinçante et en même temps tragique à souhait. Une séquence où un pauvre petit cireur de chaussures de rue, heureux d'avoir gagné de l'argent se le fait voler par un adulte. Alors qu'il pleure sur un banc, Macunaïma s'approche de lui, semble t-il pour le consoler et s'inquiète de savoir s'il lui reste quand même quelque chose, de quoi vivre. Et au moment où l'enfant lui montre ce qu'il lui reste Macunaïma s'en empare, gifle l'enfant et le tance d'une phrase lapidaire du type : c'est bien fait pour toi.

Le film de Joaquim Pedro de Andrade, une œuvre majeure, est un conte étrange plein de magie, de cruauté et placé sous le signe du paradoxe et de l'opposition perpétuelle bonheur/souffrance. De la naissance du héros, séquence d'anthologie au début du film où il est quasiment déféqué par une mégère ignoble interprétée par un homme, à sa disparition finale, tout n'est que successions de peines et joies, les deux se rejoignant parfois. Macunaïma, le petit dernier, un véritable monstre magnifiquement interprété par le très bon Grande Otelo, est le mal aimé, souvent châtié par sa famille avant de devenir grand, blanc, beau et trop aimé.

Durant son parcours il rencontrera une magicienne, un géant, un gnome, une source magique et une guerrière hors pair mais rien ne ressemble à ce qu'on a déjà pu voir ailleurs, tout est déformé, exagéré, libéré des contraintes réalistes imposés par l'ensemble de la production cinématographique. Et pourtant loin des forêts mystérieuses et des villes médiévales caractéristiques des contes européens, Macunaïma est un héros de notre époque. Le tournage en milieu naturel montre la réalité urbaine et les diverses actions parodient la situation politique d'alors : une jeune fille s'adapte à la situation et finit dans une maison close, des gangs s'affrontent, et le peuple est confronté à la richesse excessive des puissants qui ont pouvoir de vie et de mort comme dans une scène orgiaque où des individus sont lancés au hasard dans une piscine avant de finir dévorés.

Mais l'opposition se veut aussi formelle et la mise en scène du cinéaste brésilien s'affirme. A des couleurs chatoyantes, vertes et jaunes à l'image du pays, succèdent des plans sombres et ternes ; de même un plan long cache souvent quelques plans courts ou une séquence fixe suit une autre plus mobile et vacillante. Tout tend vers un éclatement progressif total, une dislocation du récit, en fin de compte vers une liberté artistique totale menacée par la dictature militaire en place à l'époque.

Macunaïma, c'est en somme l'individu brésilien et le Brésil multiethnique et multiculturel vu par Joaquim Pedro de Andrade et étalé dans toute sa complexité. Sans caractère, il les possède tous et vit en harmonie avec : blanc, noir ou métis, européen et américain riche ou pauvre et par-dessus tout amoureux de la vie. Mais c'est aussi une critique du Brésil contemporain : trop violent, trop inégalitaire, tournant au ridicule la société de consommation. Et enfin Macunaïma, c'est surtout la concrétisation d'un cinéma brésilien à la fois auteuriste et populaire vivant de ses légendes, de ses textes et sachant les réactualiser et les imager dans un hymne à la liberté, provocateur, amusant et magnifique.

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