Critique : Le Bonheur d'Emma

Julien Foussereau | 12 juin 2007
Julien Foussereau | 12 juin 2007

Générique. Elle, Emma, fermière hyper roots, prend à part un pourceau, ne lésine pas sur les caresses et les baisers sur le groin. Lui, Max, attend son rendez-vous dans le couloir aseptisé d'un hôpital. Tout en continuant à dorloter son porcin et lui susurrer des mots doux dans le creux de l'oreille, elle l'égorge avec une dextérité inouïe avant de reposer délicatement sa tête sur l'herbe verte. Sorti de l'étroitesse d'un scanner tubuleux, il découvre avec effroi qu'une tumeur pancréatique va l'emporter dans moins de deux mois. On comprend alors que ces deux-là vont inéluctablement se rencontrer. Magie du montage parallèle, magie, aussi, d'un sens affirmé de la narration chez Sven Taddicken qui ne se démentira pas tout au long du Bonheur d'Emma.


Tout est affaire d'équilibre dans ce film ; celui qui consiste à prendre littéralement son pied en dévalant une pente sur mobylette ou éprouver cette joie inattendue d'en finir avec une vie décidément trop courte alors que sa puissante cylindrée fait une méchante sortie de piste ; celui d'avancer en funambule sur la frontière ténue qui sépare le rire des larmes. C'est dans cette règle implicite que Le Bonheur d'Emma puise toute la force nécessaire pour éviter de dégringoler dans le pathos car, si le film de Sven Taddicken est incontestablement un mélodrame, il oblitère sa mise en image solaire et son sujet bucolique et empêche par là même toute pénétration romantico-neuneu, privilégiant ainsi une troisième voie.


Cette décision lui permet d'ailleurs de délaisser les figures attendues pour énoncer sans en avoir l'air des constats aussi pessimistes que dans l'air du temps comme l'euthanasie et le déclin d'une certaine agriculture artisanale, condamnée comme Max à crever d'une longue agonie faute de subsides. Cette plus-value non négligeable ne doit pas occulter le nœud du film, l'apprivoisement mutuel de deux êtres que tout oppose et que l'adversité va réunir, et la performance sensationnelle de Jördis Triebel dans le rôle titre. Sa présence magnétique, son implication sans réserve dans ce rôle brut de décoffrage valent à elles seules le déplacement tant la comédienne, lumineuse, parvient à diffuser une fascination durable pour Emma (malgré le tiercé « cheveux gras / robe de grand-mère / ongles crasseux » pas vraiment glamour) Rien ne vient la salir, pas même le sang giclant d'une artère jugulaire...


C'est par sa puissante quiétude qu'elle achève de faire basculer Le Bonheur d'Emma dans la catégorie révélation, celle que l'on n'attendait pas, celle qui vous réconcilie momentanément avec le « film de femmes », paravent trop souvent usité pour dissimuler des histoires d'une crétinerie sans fond. Merci.

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