Critique : Chat noir, chat blanc

Julien Foussereau | 27 septembre 2007
Julien Foussereau | 27 septembre 2007

Emir Kusturica l'avait pourtant annoncé au lendemain de sa Palme d'Or en 1995 pour Underground : il arrêtait le cinéma. Lassé par les propos infamants d'Alain Finkielkraut et Bernard Henri-Levy selon lesquels son film appuyait le régime fasciste de Slobodan Milosevic, Kustu le sans patrie préféra jeter l'éponge... pour mieux renaître trois ans plus tard avec Chat noir, chat blanc, redoutable farce gitane qui demeure, encore à ce jour, son plus grand succès public. Là réside le paradoxe et, bizarrement, le miracle de ce film : transformer son désarroi face au délitement de cette Yougoslavie qu'il aimait tant, répondre aux éructations déplacées des pisses-froids en se remettant en selle et réinventer sa propre création avec une incroyable joyeuseté.

 

A l'instar d'un John Ford, toujours plus conscient de la cruauté du monde, toujours plus humaniste malgré tout, Kusturica fait évoluer son art en remontant aux origines de son baptême thématique et esthétique que furent Le Temps des gitans, le chat noir en somme. Le chat blanc serait donc cette histoire de magouille entre gitans ayant pour finalité un mariage arrangé. Car, les ponts entre les deux films sont légions. Entre-temps, le conflit des Balkans a tout bouleversé et Kusturica a réalisé que sa quête de paradis perdu était une chimère. La tragédie du peuple Rom dans Le Temps des gitans nourrissait son fantasme de réunir les éléments par le baroque de sa mise en scène. Huit années et une tragédie nationale plus tard, Chat noir, chat blanc ne cherche plus qu'à réconcilier les hommes par le rire, avec happy end de rigueur.

 

Si l'Histoire a démontré par la suite que serbes, bosniaques, croates, monténégrins et kosovars étaient loin d'avoir réglé leurs comptes, force est d'admettre que l'entreprise fonctionne à merveille encore aujourd'hui. Pour la simple et bonne raison qu'elle est furieusement drôle, à s'en faire mal. Construit sur le principe des doubles antagonistes sous toutes ses formes (ethniques, sentimentales, musicales, métaphysiques), Chat noir, chat blanc expose des catégories a priori incompatibles (hommes et animaux, morts et vivants, géant et naine, mariage d'amour et arrangé, gitan minable et mafieux sous coke blindé de fric) avant de les entrechoquer toutes autant qu'elles sont, au sens propre comme au figuré, pour voir de quoi il en retourne. La réalisation colle de près à cette intention : les cadres n'ont peut-être jamais été aussi chargés qu'ici en animaux, électroménagers, matériaux de récup' ; jamais le rythme kusturicien n'a atteint une telle frénésie ; jamais enfin musique n'a autant donné envie de se remuer comme un pantin désarticulé.

 

En résulte une fable complètement déjantée, capable de déployer un arsenal comique étourdissant allant du penchant prononcé de Kustu pour la grossièreté verbale ou  au slapstick le plus imparable en passant par... l'absurdité fellinienne comme « clou » d'un concert. Chat noir, chat blanc est, au fond, une mécanique burlesque alimentée par un chaos débridé ne demandant qu'à être réorganisé au final, chaos faisant évidemment écho aux tourments d'un réalisateur qui recherchait au moment du tournage la voie de l'apaisement.

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