Critique : Les Mains qui tuent

Julien Foussereau | 6 avril 2007
Julien Foussereau | 6 avril 2007

Henderson, un ingénieur civil talentueux est injustement accusé du meurtre de sa femme. Il a beau clamer avoir été aperçu à plusieurs reprises en compagnie d'une femme énigmatique, pour ne pas dire fantomatique, au moment des faits, rien n'y fait : aucun des témoins ne se souvient de la femme. Pendant qu'il attend sa condamnation à mort, Carol, sa secrétaire, éperdument amoureuse de lui, mène l'enquête... Le script paraît anodin, le film ne l'est pas. Après la légèreté exotique de Cobra Woman, on confie enfin à Siodmak un projet dans lequel il laisse libre cours à ses influences et ambitions esthétiques. En effet, il est moins question dans Phantom Lady (sorti en France sous le titre Les Mains qui tuent) d'intrigues basées sur le rapport ambigu des divers protagonistes ou le simple lien de cause à conséquence que du plaisir de mettre en scène de façon quasi obsessionnelle le pistage d'un sujet par un autre.

 Pour ce faire, Siodmak transforme le petit budget alloué à la réalisation de Phantom Lady en atout en apportant un soin méticuleux à la composition de ses cadres à l'aide de la lumière tel un peintre avec ses tubes de gouaches. Il digère ainsi avec brio l'héritage expressionniste de son Allemagne natale afin d'engendrer un environnement urbain d'une poésie morbide digne de Mabuse le joueur ou M le maudit de Fritz Lang. Dans sa quête de vérité, Carol doit s'acclimater à ce décorum suintant l'été torride et utiliser ses instincts les plus primaires pour imiter le temps d'une stupéfiante séquence érotico-jazzy une minette vulgaire des bas-fonds. En un sens, dès l'instant où Carol s'engage à prouver l'innocence de Henderson, Phantom Lady vire presque au conte moderne résolument adulte - l'affectueux sobriquet Kansas que lui affuble son patron n'est-il pas une référence directe au Magicien d'Oz ? Un conte où  une héroïne cherche à revenir à un point de départ en choisissant d'évoluer dans un univers sensuel, guidée par ses propres désirs.

Derrière cette toute puissance de l'image, c'est aussi une certaine culture du muet allemand qui renaît avec ces décors surréalistes, ces élégants travelling à la Murnau, les éclairages chirurgicaux, les plongées vertigineuses du cinéma de Weimar sans oublier les regards pénétrants des comédiens, plus parlant que bien des mots. Sur ce dernier point, Phantom Lady innove : là où, en Allemagne, ce regard type porté par Mabuse ou Caligari représentait le chaos et la désolation, il se positive en se féminisant puisque c'est par ce biais que la vérité souvent jaillit. On ira même plus loin en avançant que ce regard, combatif par sa nature, témoigne d'une volonté d'affirmation dans un monde propice à l'anonymat et l'oubli, un aspect d'autant plus intrigant que le méchant de l'histoire, adepte du credo nietzschéen selon lequel le surhomme se place au-dessus des lois, fait étrangement écho à l'Allemagne nazi.

 Mais chaque médaille a son revers et quelques tics expressionnistes allemands se fondent mal dans le réalisme comportemental de l'acteur américain de film noir, surtout quand le même méchant est pris de convulsions trop over the top pour convaincre. Cette réserve mise à part, Phantom Lady est un grand « petit film » qui passionnera les mordus de belle image.

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