Critique : Mais qui a tué Harry ?

Johan Wyckaert | 12 novembre 2012
Johan Wyckaert | 12 novembre 2012

Mais qui a tué Harry ? fut un de ses premiers échecs critique et, surtout, public aux USA où il subit des pertes d'un demi-million de dollars au box-office. Film incompris au tournage compliqué (d'abord filmé dans des décors naturels, le cinéaste fut obligé de continuer le tournage en studio, recréant les bois du Vermont dans un gymnase), l'oeuvre a fait honneur de manière prémonitoire à son titre original : The trouble with Harry. Un titre qui restitue surtout plus fidèlement l'esprit du film : Harry, ce cadavre retrouvé par différents habitants d'une petite ville américaine, pose effectivement problème mais n'émeut ni ne choque personne. Personne ne pleure sa dépouille, mais tous sont embêtés par sa présence et se sentent coupables, car chacun se demande à son tour s'il n'est pas l'assassin malgré lui. On comprend vite qu'ils se trompent tous, et plus qu'un film policier, Mais qui a tué Harry ? peut être vu comme une des rares comédies du cinéaste. Cependant, au-delà de son humour noir et absurde, il réserve des subtilités et une atmosphère étrange qui en font un film particulier, et pas seulement dans la filmographie d'Hitchcock.

Ainsi, c'est dans une ambiance surréaliste que dès le début du film, tous les personnages se succèdent dans la même clairière face au cadavre, du capitaine Wiles qui pense avoir causé sa mort avec une balle perdue (Edmund Gwenn), à Jennifer, la jeune maman qui l'a frappé avec une bouteille (Shirley MacLaine, à qui Hitchcock offrit son tout premier rôle), en passant par la vieille dame (Mildred Natwick) qui croit l'avoir achevé avec le talon de sa chaussure... Tout ce petit monde, accompagné par le fils de la jeune femme et un peintre amoureux de celle-ci, tâchera de s'entraider pour enterrer et déterrer le corps plusieurs fois, s'enfonçant plus que de raison dans les problèmes et la culpabilité, mais toujours avec ce ton très spécial, comme en témoigne cette scène où, alors que le capitaine traine le corps d'Harry, la vieille dame le surprend et lui demande calmement « Un petit ennui, Capitaine ? ». Tout le monde, même l'enfant, se comportera avec la même décontraction devant ce cadavre, loin de tout puritanisme, allant à contre-courant des attentes du spectateur, tel que le voulait Hitchcock. Ainsi, il déclara au sujet du film : « Il répondait à mon désir de travailler dans le contraste, de lutter contre la tradition, contre les clichés. Dans Mais qui a tué Harry ?, je retire le mélodrame de la nuit noire pour l'amener à la lumière du jour. » L'occasion donc pour Hitchcock d'exporter aux Etats-Unis l'humour noir et le flegme britannique ici poussés quasiment à l'extrême : « Allez, viens donc boire une citronnade » dira Jennifer à son fils qui vient de lui montrer le corps inerte d'Harry...

Derrière cet humour surréaliste se cache cependant une couche de tendresse et de romantisme. Tous ces événements, qui auraient leur place dans un film noir, passent après l'amour que se portent certains personnages : Jennifer et Sam, le peintre, ainsi que le capitaine Wiles et la vieille dame, Ivy. Les premiers évoqueront plusieurs fois leur mariage, entre deux enterrements du pauvre Harry, tandis que les deux autres se verraient bien partir en amoureux sur un bateau, alors même que le détective vient de les interroger. Les personnages réagissent donc tous de la manière la plus bizarre possible, et ceux ayant des réactions plus logiques n'auront d'ailleurs droit qu'à quelques brèves apparitions, comme le détective ou le docteur. Cela donne donc l'impression que tout se passe paisiblement, contre toute attente, le spectateur étant en plus bercé par l'une des plus jolies et entêtantes compositions de Bernard Herrmann, ici collaborant pour la première fois avec Hitchcock. On retrouvera même dans l'introduction du film les notes de la Marche funèbre d'une marionnette, le thème musical des célèbres « Alfred Hitchcock présente ».

A cela s'ajoutent quelques éléments étranges, comme le rapprochement qui pourrait être fait entre l'enfant et le cadavre, Arnie et Harry, qui au-delà de leurs prénoms très ressemblants se retrouvent maintes fois réunis devant la caméra du cinéaste : Il est le premier à tomber sur Harry, et le dernier vu à l'écran avec lui. Par deux fois dans le même plan, l'enfant et le mort seront quasiment réunis physiquement, le corps du premier devenant le parfait prolongement des jambes du second. Et que dire de cette porte qui s'ouvre toute seule à plusieurs reprises, effrayant les personnages qui semblent y voir là le fantôme d'Harry. Comme une touche de fantastique venant intensifier le côté surréaliste des événements, ou alors est-ce simplement un moyen d'entretenir le suspense jusqu'à la scène d'interrogatoire finale ?

Le film donne aussi une grande importance à l'art : Le personnage de Sam est un peintre incompris, et l'un de ses tableaux deviendra même un élément clé du film, utilisé comme pièce à conviction. Lors d'une scène, un personnage le complimentera pour l'un de ses tableaux, alors qu'elle le tient à l'envers, avant de dire « c'est très beau, même si je ne comprends pas. » Quand l'on sait que le film fut mal perçu par la critique, en plus d'être un échec commercial, on pourrait être tenté de voir dans ce peintre n'ayant aucun succès avec ses toiles expérimentales le cinéaste lui-même, et sa propre vision du film...

Mais qui a tué Harry ? ne fait certes pas partie des œuvres les plus mémorables d'Hitchcock, le côté subversif et totalement décalé du film, incompris à l'époque, qui fait de plus fi de tout suspense, peuvent laisser le spectateur de marbre encore aujourd'hui. Il peut aussi charmer et être revu avec bonheur, une fois passée la surprise du ton employé, qui ne changera pas jusqu'à la dernière minute. Ses sublimes teintes automnales et la musique d'Herrmann ne font qu'ajouter au plaisir de la redécouverte. A noter qu'en plein tournage, Hitchcock faillit être écrasé par une caméra pesant près de 400 kilos qui se décrocha. Mais celle-ci ne fit que l'effleurer, le tournage reprit normalement, et il put enchainer par la suite des films comme L'homme qui en savait trop, Sueurs froides ou encore La mort aux trousses, pour s'imposer comme le maître du suspense... l'aspect surréaliste du film dans son approche de la mort peut alors prendre une tout autre dimension.

Résumé

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