Le Dernier Samouraï : critique sabrée
Premier grand rendez-vous cinématographique de ce début d'année 2004, Le Dernier Samouraï, avec ses bandes-annonces, nous laissait rêver à un film épique et vigoureux, sachant allier au lyrisme une évidente beauté plastique. Par chance, mais aussi par malchance, le résultat laisse percevoir tout cela à la fois, sans jamais pour autant étancher notre soif. Le spectateur est alors abandonné à lui-même dans un état de frustration évident, dû avant tout au manque de personnalité du film et aux choix du tandem Cruise-Wagner.
RAN ½
Zwick, à qui l'on doit entre autre Glory et Légendes d'automne, s'affirme ici comme cinéaste de commande, sans réelle originalité. Nul doute que la franchise aurait eu du bon si le film avait gagné en profondeur, en intensité dramatique, et en direction d'acteurs. Parce que le réalisateur ne fait durant la première heure et quart aucun choix esthétique fort, et qu'il n'instaure pas d'unité entre ses personnages et ses décors, le spectateur a le sentiment de passer à coté d'une uvre forte, au potentiel tragique et mélodramatique évident. Tout cela s'explique par le simple fait que Ed Zwick hésite trop longtemps dans ses choix, erreur qui lui sera, sur la première partie du film, somme toute fatale. Faire un film épique au demeurant classique ne s'improvise pas et demande d'autres connaissances, bien plus pointues, que pour réaliser un blockbuster.
Aussi, le réalisateur ne prend-il pas suffisamment en compte les fabuleux décors offerts par la nature encore sauvage à sa caméra, pour laisser Tom Cruise cabotiner davantage avec son sabre. Les rares plans usant du scope à des fins naturalistes appartiennent déjà trop rapidement au passé, tant le montage s'efforce à tout dynamiser et à tout moderniser. Or, il aurait été préférable d'intensifier ces quelques plans pour mieux représenter le Japon médiéval, et donner aux scènes de batailles un réel impact dramatique qui se serait vu accentué par un contrepoint esthétique puissant et sublime au demeurant.
Et puis soudain, comme un appel de la nature, le film s'éveille, mettant en avant certains choix, tant dans la mise en scène que dans la direction d'acteurs. Nous assistons durant les trois derniers quarts d'heure à une représentation moderne de Ran d'Akira Kurosawa. Le nud se dénoue, le schéma mélodramatique tant attendu prend place, thématiques et choix esthétiques entrent dans la danse (non sans quelques faux pas). Et nous comprenons maintenant par l'image ce que nous supposions depuis le début : ce Dernier Samouraï est un film sur la maîtrise du corps et de l'esprit, traversant l'érotisme par l'intimité et les batailles par un excès de chocs frontaux, magnifiés dès lors par l'apport d'un cinémascope somptueux et vivant. Enfin, l'attente se voit récompensée.
Nous ne pouvons ainsi passer à côté de la magnifique photographie signée John Toll, l'homme à qui l'on doit entre autre Braveheart ou encore La Ligne rouge. Les couleurs primaires sont ici soutenues avec une telle intensité qu'il devient difficile de ne pas s'extasier devant de telles prouesses techniques et artistiques. Mais ce qui fait la force de cette dernière partie peut aussi être considérée comme son pendant, car les similitudes avec Ran demeurent beaucoup trop nombreuses pour que le film se suffise à lui-même et certains fans de Kurosawa, à raison, se verront offensés par une utilisation aussi éhontée des codes cinématographiques du maître japonais.
Lecteurs
(4.2)