Critique : A la recherche de Vivian Maier

Nicolas Thys | 1 juillet 2014
Nicolas Thys | 1 juillet 2014
A l'heure où on a l'impression d'avoir la mainmise sur toutes les images du monde en quelques clics à peine, l'histoire de Vivian Maier méritait bien un film. Cette nounou lambda, dont on parvient à suivre les traces mais sans pouvoir reconstituer précisément l'histoire, aura pris avec de simples appareils Rolleiflex plus de 150 000 clichés des années 1950 aux années 1980. Celle qui aurait pu devenir l'une des plus importantes street reporter des Etats-Unis, à l'image d'Eugène Atget en France, aura eu la vie la plus anonyme possible. Sur toutes les photographies prises, quelques unes auront été développées mais jamais montrées et la plupart sont restées dans leur rouleau, attendant que quelqu'un s'en occupe. Cette personne c'est l'un des deux réalisateurs : John Maloof, qui livre autant un film sur sa découverte et ce qu'il en advient que sur le mystère de la photographe. Son acolyte, Charlie Siskel, fût le producteur de Bowling for Columbine.

En 2007, Maloof, à la recherche d'images de Chicago, achète lors d'une vente aux enchères un énorme lot de photographies pour quelques centaines de dollars à peine. En regardant ce qu'il a acheté, il est persuadé assez rapidement de la grande valeur artistique de ce qu'il a sous la main. Il va passer près de deux ans à récupérer ce qu'il n'a pas pu acheter et à se renseigner sur la personne qui a pu prendre ces clichés. Il retrouve sa trace en 2009, quelques semaines après son décès, et récupère ce qui restait d'elle, conservé dans un garde meuble. Elle collectionnait tout et emportait sa vie dès qu'elle déménageait. Parmi la montagne de journaux, papiers, débris en tout genre, figuraient encore des rouleaux, ses appareils et quelques lambeaux de son histoire personnelle. C'est là le point de départ du documentaire. Qui était Vivian Maier et pourquoi avoir conservé avec elle tous ces clichés ?

La réponse des réalisateurs est claire : c'est une énigme. Le film nous promène dans l'Amérique populaire des années 50 aux années 80, de l'instant où elle commence à travailler comme nourrice et femme de ménage pour une famille ordinaire à sa dernière demeure alors qu'elle vivait des aides de la famille chez qui elle est restée le plus longtemps, ceci en passant par un tour du monde et un périple dans un petit village des Hautes-Alpes, Saint-Julien-en-Champsaur, d'où sa mère était originaire. Mais plus on progresse, plus le mystère semble s'épaissir. Le film tient donc en haleine mais il manifeste également ses principales limites. Peut-être Maloof a-t-il voulu scénariser sa découverte telle qu'il l'a vécue et revenir sur la vie rocambolesque de Vivan Maier telle qu'il l'a perçue, dans sa chronologie à lui, mais si l'existence de la photographe pourrait faire un scénario sympathique avec sa part d'étrangeté, l'écriture du documentaire en fait trop. Maloof brouille des pistes et obscurcit quelques points qu'il n'était pas nécessaire de noircir autant, notamment à propos des familles où elle a vécu, de sa jeunesse ou de son accent français forcé. Aujourd'hui, la chronologie a pu être améliorée, des associations se sont créées et si une grande partie du mystère reste, certaines choses auraient pu être davantage clarifiées.

Reste l'agréable impression de plonger dans une découverte aussi grandiose qu'inespérée. Si on aurait aimé pouvoir s'attarder davantage sur les photographies de Vivian Maier (une ou deux secondes ça reste trop rapide), on sait gré au cinéaste de nous en présenter de nombreux exemples et de ne pas oublier d'inclure certains des films qu'elle a tournés en 8mm. Même s'ils sont trop souvent considérés comme de simples bobines d'histoires de famille dans les commentaires, ces films, comme les photos, font partie intégrante de l'oeuvre et on y décèle aussi son regard et une intelligence du cadre. Et si le cinéaste semble trop s'inquiéter du temps pris par les médias, les galeristes et musées dans la redécouverte de cette oeuvre, il devrait se rendre compte que seulement 5 années sont passées et qu'il reste encore des rouleaux non développés, c'est peu ! Au lieu de cette urgence manifeste, on aurait préféré contempler ses clichés, les voir davantage analysés et remis en contexte par rapport à la photographie américaine de cette époque (ce qui est fait mais trop rapidement avec souvent de simples citations de noms : Lisette Model ou Robert Frank notamment).

EN BREF : Les réalisateurs nous offrent un passionnant voyage à travers la découverte d'une personnalité et d'une artiste méconnue, et leur film, malgré ses défauts, est un véritable appel à voir et revoir ces clichés sans âge, aussi nouveaux qu'anciens. Il reste dorénavant à réaliser un documentaire sur Vivian Maier photographe.

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