Critique : Gulaab Gang

Marjolaine Gout | 31 mars 2014
Marjolaine Gout | 31 mars 2014

Soumik Sen voit la vie en rose ! Avec Gulaab Gang, il redistribue les cartes en donnant aux femmes de la valeur, de la couleur et surtout du répondant. A la manière d'un Johnny Guitar, il capture dans les rôles phares et antagonistes, deux actrices iconiques des années 90.  Nolisée sur ce divertissement anti-phallocrate, Madhuri Dixit y joue la reine de cœur, Rajjo Devi, une activiste à la Sampat Pal Devi, calibrée en héroïne de grand chemin. Son destin la mènera à contrecarrer les plans machiavéliques d'une sardonique politicienne, piquée au vif et interprétée, quant à elle, par  Juhi Chawla. Attention, nous préférons vous avertir que des scènes de ce métrage peuvent émasculer la virilité de certains spectateurs.

[La minute ARTE :] Phryné devant l'aéropage ! Non ce n'est point une insulte! Cette toile de Jean-Léon Gérôme ne vous dit peut-être rien. Or, plus d'un clip de rap pourrait y trouver résonance, plus d'une publicité son slogan, car, à elle seule, elle résume la place de la femme dans un monde gouvernée par la testostérone. L'orateur Hypéride tente de sauver Phryné devant le tribunal athénien. A court d'argument, ce preux protecteur lui ôte son peplos. Et comme par magie, voilà, notre jeune donzelle, en tenue d'Eve, dissimulant son visage à une plèbe de barbus. Plèbe qui sous les traits d'un Tex Avery aurait assurément sorti les cornes de brume et déroulé les langues pour saluer le spectacle s'offrant à leur rétine ! Ceci dit, sous le pinceau de Gérôme, notre assemblée de juges,  certes, en émoi devant sa beauté, tente de se contenir et rend sa sentence sur le champ. Ils l'innocentent. Si de nos jours, la justice est « aveugle », ici, l'aspect physique l'emportant sur les actes révèle l'inégalité entre les sexes et souligne les rôles de femmes soumises, brimées, objets & consorts qui pullulent depuis l'an pèbre. [Fin de la minute ARTE] Rien n'a quasiment changé depuis, même si les XY ont désormais le droit de porter la culotte et de faire un tour dans l'isoloir !  La femme au cinéma reflète cet état des lieux en restant souvent, confinée dans de sempiternels rôles de tapisseries d'Aubusson, reléguée entre des valeurs sûres de maman à putain. Mais, n'en déroge à la règle, chaque année, des protagonistes féminins surprennent par leur teneur, en envoyant en éclat le marché de niche, dans lequel ils sont cantonnés, pour s'ouvrirent à un public plus vaste.  Désormais, scénaristes, réalisateurs et producteurs misent davantage sur le sexe faible et n'hésitent plus à faire porter sur leur épaule des projets.  Ainsi, si Rani Mukherjee et Vidya Balan ont bousculé, récemment, une cinéphilie de patriarcat, Gulaab Gang amène un souffle de fraîcheur drapé de rose. Un divertissement essentiel  relatant des inégalités homme-femme par la simple inversion des rôles.

Gulaab Gang se dévoile de prime abord en un masala castrateur. Lorsque les dialogues peinent à relater les faits, Soumik Sen n'hésite pas à joindre le geste à la parole pour donner lieu à un florilège de scènes jubilatoires. Les femmes prennent ainsi l'ascendant sur les hommes, en renversant les rôles. Madhuri Dixit incarne une métaphore de la déesse Thémis, en distillant bon gré mal gré sa conception de la justice, de la loi et de l'équité. Ainsi, lorsque celle-ci verra rose, plus d'un homme tâtera de son arme d'hast ! Soumik Sen décline ici la lâcheté, la cupidité, la corruption et la violence des hommes à l'encontre de leur version conjuguée au féminin. Mais, avec l'arrivée de Juhi Chawla, le film change de cap. Ainsi, si le propos de ce métrage tend à hisser les femmes au rang d'égale, voire à échanger le statut de la femme, du simple faire-valoir à celui d'héroïne, la trame narrative ne tarde guère à basculer dans un divertissement pur et dur où se donnent l'assaut Madhuri Dixit et Juhi Chawla. « Duel de saree » aurait pu tout aussi bien être le titre de ce long-métrage où la caricature vient à la rescousse d'un scénario manichéen. Le masala curry se révèle avec confrontation des regards et bastonnades colorées en dilapidant sur l'autel du divertissement le sous-texte du film : l'éducation des filles est indispensable à leur émancipation.

En bref : Soumik Sen s'affranchit des hommes, mais garde ancré Gulaab Gang dans un modèle défini par un univers machiste : le western. Sa transposition aurait eu besoin d'une once de subtilité dans ce monde de brutes.  Il livre, certes, un film exutoire  et nécessaire dans un paysage cinématographique peuplé de phallus cachant une forêt dense et souvent mal ou sous exploitée d'actrices !

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