Critique : Les Chèvres de ma mère

Christophe Foltzer | 16 avril 2014
Christophe Foltzer | 16 avril 2014

Les chèvres de ma mère part d'un postulat qui peut prêter à sourire : la transmission d'un cheptel de chèvres entre une fermière bientôt à la retraite et une jeune agricultrice fraîchement diplômée qui essaye de s'installer. Pourtant, ce documentaire propose bien plus qu'il n'y paraît. Beaucoup plus, même.

 

Comme pour nous rappeler que les meilleures histoires sont avant tout celles qui nous arrivent, la réalisatrice Sophie Audier a décidé de suivre sa propre mère lors de son difficile passage de relai au moment de la retraite. Ainsi découvrons-nous Maguie, agricultrice autodidacte installée dans les Gorges du Verdon depuis 1968, productrice de fromage de chèvre, grande amoureuse de la nature et des animaux. Face à elle, Anne-Sophie, jeune diplômée qui se lance dans la vie active et qui, grâce à un programme de parrainage, s'apprête à reprendre l'activité et le troupeau de Maguie. Ensemble, elles vont traverser la tempête administrative pour que le projet se concrétise, confiant leurs doutes et leurs craintes à la caméra. Une expérience forcément troublante pour le spectateur qui entre dans l'intimité d'une famille à un moment charnière, mais qui s'avère payante tant Sophie Audier dépasse son sujet.

Ce n'est pas à une simple histoire de paysans que nous avons affaire, mais à un constat terrible sur le monde de l'agriculture française : ou comment en 40 ans, cet univers a été lacéré et étouffé par des lois et des lourdeurs administratives inimaginables. En mettant en opposition deux expériences de la même situation, Sophie Audier questionne avant tout la place de l'humain tiraillé entre son envie pratique, son besoin de liberté et la rigueur procédurale. Le bilan est assez alarmant et, sans jamais le dire clairement, ce qui constitue l'une des grandes forces du documentaire, la réalisatrice dénonce un système qui marche sur la tête, compliqué pour des raisons mystérieuses et plus clivantes qu'autre chose. Voir Anne-Sophie multiplier les rendez-vous, les bilans prévisionnels, les budgets, les dossiers administratifs alors que Maguie (soumise au même traitement) s'est juste installée dans le Verdon et a commencé son activité parce qu'elle avait simplement envie de devenir bergère a quelque chose de triste et de déprimant. Mais Sophie Audier a l'intelligence de ne pas sombrer dans la sinistrose, laissant ces imbroglios à bonne distance en les contrebalançant avec le vrai cœur du sujet, l'aventure humaine de deux femmes d'âges différents, le besoin de transmission et le rapport à la nature. Le portrait qu'elle dresse d'elles est saisissant et émouvant. Leur parcours commun et individuel touche le spectateur par son intensité et son authenticité. On ne peut qu'adhérer à leur philosophie de vie, à leurs choix et à leurs questionnements. Le tout renforcé par de superbes paysages naturels et des séquences fortes comme les naissances au sein du troupeau où toute la beauté de la nature dans ce qu'elle a de plus brut et de plus simple nous est montrée.

Bien sûr, le documentaire n'est pas parfait et on peut regretter une dernière partie un peu trop mise en scène, artificielle et alourdie par un côté « film de famille le week-end » quelque peu gênant. Mais ces femmes sont si touchantes, si vraies, que cela ne pose pas de problème au final.

 

EN BREF : Les chèvres de ma mère propose au spectateur de renouer avec sa base, son rapport à la nature. Evitant le côté Herta de son sujet pour se concentrer sur l'essentiel, Sophie Audier réussit son pari et touche au cœur. En nous rappelant notre besoin impératif de liberté. Fort. 

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