Critique : Ida

Nicolas Thys | 9 février 2014
Nicolas Thys | 9 février 2014

Le premier élément patent lorsque commence Ida, c'est son format : un 1.37 pratiquement disparu (sauf chez Andrea Arnold et Kelly Reichardt), tout droit venu d'une autre époque. Pawel Pawlinowski, pour son premier film en Pologne, délaisse donc les formats larges et le Scope à propos duquel Fritz Lang avait pu dire qu'il n'était pas fait pour les gens mais pour les serpents et les funérailles, soit deux éléments liés à la symbolique christique et à une certaine idée de la mort. De là à penser que la religion soit une affaire de cadre, il n'y a qu'un pas.

Et il n'y a qu'à voir la première séquence pour comprendre à quel point cette donnée est déterminante. Les personnages ne se déplacent que dans la partie basse du cadre, plus rarement en haut et nul ne parvient à atteindre le centre de l'écran. Les mouvements sont rares, les plans étant fixes et l'ensemble d'une austérité sans faille. Non pas que le cinéaste cherche à documenter des lieux vides et ternes, que le noir & blanc vient renforcer, mais plutôt à montrer à quel point la religion pèse sur la protagoniste. C'est comme si nul ne pouvait emplir un espace destiné à un Dieu omniprésent, invisible mais qui tend à effacer les personnalités et les esprits. Le format, tendant davantage vers le carré que l'horizontalité, permet au travail quasi maniériste de Pawlinowski de se déployer. On est dans un enfermement qui confine à la disparition.

N'oublions pas que le film se déroule en Pologne, l'un des pays où la religion catholique est encore aujourd'hui la plus prégnante et ancrée dans la culture comme dans le cinéma. Aime et fais ce que tu veux de Malgorzata Szumowska, sorti début janvier, ne peut que le confirmer.

A partir de là le film sera, pour Ida, le personnage principal, la recherche d'une nouvelle existence, non plus pour Dieu mais aussi pour elle-même et les autres ; donc une tentative d'aller vers le mouvement et de remplir le cadre pour apparaître enfin à l'image. Son passage vers l'extérieur est d'ailleurs significatif où, assise dans un tramway, elle voit le paysage défiler devant ses yeux et le spectateur uniquement le reflet de celui-ci dans une vitre. Elle est encore dans l'expectative, fixe, inanimée mais déjà sa présence se fait plus manifeste, le mouvement également bien que secondaire.

Et l'influence de la tante à la vie dissolue, le voyage qui fait d'Ida une sorte de road-movie dans les tréfonds d'une mémoire que tout le monde préfère oublier, les révélations qui s'accumulent, bien plus terrestres que divines, vont permettre à la jeune femme de s'assumer. Une fois n'est pas coutume (surtout dans le cinéma polonais), la seconde guerre mondiale et ses traumatisme remontent à la surface mais cette fois cette histoire de morts sera liée au pardon et au désir d'aller de l'avant. Ida vit. Elle existe, elle est rattachée à une terre qu'elle arpente comme un nouveau né, à un passé qui l'a menée là où elle est et à un futur auquel elle n'avait jamais songé. On la verra rire, pleurer, parler, gagner en expressivité comme en force et tout simplement devenir humaine. Ceci jusqu'à cette dernière minute très belle, où transcendant la mortification originelle du récit, la caméra va elle aussi se mettre en marche.

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