Critique : Nous irons vivre ailleurs

Christophe Foltzer | 9 décembre 2013
Christophe Foltzer | 9 décembre 2013

En suivant le parcours de Zola, jeune africain décidant de gagner Paris de façon illégale, le réalisateur Nicolas Karolszyk s'attaque à un sujet plus que délicat et casse-gueule pour un premier film. Et si dans l'ensemble Nous irons vivre ailleurs se tient, nombre de ses défauts laissent penser que les ambitions étaient peut-être un peu trop grandes.

Il faut avant tout reconnaître au réalisateur et à l'équipe du film un courage certain pour s'être lancés dans pareille entreprise : réaliser un film sur l'immigration clandestine dans la France de Nicolas Sarkozy (l'histoire se passe en 2008) sans aucun véritable financement public ou privé, tourné façon « guerilla » dans l'indifférence générale et qui ne bénéficie donc malheureusement pas d'une sortie digne de ce nom. Pourtant, Nous irons vivre ailleurs mérite d'être vu, ne serait-ce que parce qu'il témoigne de la vitalité d'un cinéma français vraiment indépendant, fauché certes mais hargneux et qui a besoin que l'on sache qu'il existe. De cela découle des images peu vues au cinéma (et encore moins à la télévision) : le quotidien d'une Afrique grise et terne, dépotoir de l'Occident, bien loin de quelques images d'Epinal qui pourraient nous venir à l'esprit. Une Afrique sale, laissée à l'abandon dont on a, tout comme le personnage principal, rapidement envie de partir. Mais c'est aussi une Afrique vivante et qui sait s'organiser en dépit de tout, un peuple abandonné qui se voit contraint de s'inventer de nouvelles règles pour rester autonome et simplement survivre. Le passage en France n'arrangera pas les choses et l'immersion dans le quotidien d'un immigré clandestin risque d'en surprendre plus d'un. Des camps de transit aux bidonvilles de Roms, le film montre la face honteuse d'un pays anciennement tolérant, il met en lumière ce que l'on refuse de voir. Et c'est sa plus grande qualité, sa raison d'être, cela lui confère une valeur quasi documentaire tant il paraît évident que ce qui est dépeint ici est très proche (pour ne pas dire similaire) de la Réalité.

Pour autant, le film ne fonctionne que moyennement. La faute à un scénario qui n'a pas vraiment de profondeur dramatique une fois son enjeu principal exposé. Zola n'existe jamais totalement sous nos yeux et, si l'on comprend bien qu'il représente symboliquement les immigrés clandestins dans leur ensemble, il n'a jamais l'humanité indispensable à ce type d'histoire. La faute aussi peut-être à son interprète, Christian Mupondo. Parfait lorsqu'il déambule dans les rues de la ville et lors des nombreuses séquences muettes du film, il montre ses limites lors des rares dialogues et coupe le spectateur du film, peu aidé il est vrai par des répliques particulièrement lourdes. Nous n'avons pas de réelle empathie pour Zola et cette impression gênante de n'assister qu'à une succession de séquences dénonciatrices plutôt qu'à un vrai récit est handicapant, à l'inverse d'un Rêves d'or qui, sur le même sujet, n'oublie jamais ses personnages. Zola est creux et se confronte à des situations qui penchent vers la caricature dans la seconde partie du film. Si bien que le propos (et une partie de son intérêt) se dilue dans un enchaînement de séquences mal maîtrisées d'un point de vue dramatique et versent dans une discours naïf en mode binaire là où, justement, le sujet exigeait plus de complexité et certainement pas un axiome « gentil immigrant contre méchants flics ».

Dommage donc, et pourtant nous défendrons ce film. Parce qu'il a le mérite d'exister d'une part, en dépit de la naïveté de son propos et de ses défauts, et parce qu'il prouve, en ces temps où le cinéma français meurt un peu plus à chaque nouvelle comédie pourrie financée par la télé, qu'une autre façon de voir les choses est possible et même nécessaire. Alors certes, son accouchement se fait dans la douleur, ça ne rendra pas riche, et ses artisans ne seront probablement jamais invités chez Ruquier mais arrivés au point où nous en sommes aujourd'hui, n'est-ce pas finalement une bonne nouvelle ?

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