Critique : Abus de faiblesse

Geoffrey Crété | 9 février 2014
Geoffrey Crété | 9 février 2014

L'espace d'une minute, Abus de faiblesse ressemble à un film de David Cronenberg ou Marina de Van, avec une héroïne assaillie par un corps devenu ennemi, filmé comme un monstre en plein éveil, sur le registre du film d'horreur pervers. Mieux encore : il annonce le retour en force d'une Catherine Breillat rangée dans les colonnes des magazines à scandale depuis quelques années, et qui n'a su dépasser sa réputation de cinéaste de l'extrême amorcée il y a une quinzaine d'années. Hélas, l'excitation est de courte durée. Car entre cette ouverture hypnotisante et un beau sursaut final, il y a un film léthargique.

Abus de faiblesse, d'abord titré La Hyène, marque la fin d'un chemin de croix entamé par Catherine Breillat en 2005. Victime d'un AVC qui la rend hémiplégique, la réalisatrice, remise sur pieds pour filmer Une vieille maîtresse en 2007, annonce en 2009 avoir été escroquée par Christopher Rocancourt à hauteur de 850 000 euros. Mais derrière le scandale, il y a une relation tordue, née lors de la préparation d'un film avec Naomi Campbell qui ne se fera jamais, et qui a laissé la cinéaste, encore fragile, dépendante de l'arnaqueur superstar, censé donner la réplique au mannequin. Il est impossible de faire l'impasse sur la valeur expiatoire du film, reniée par la réalisatrice, qui adapte ici son livre publié il y a trois ans. Car le cœur émotionnel de l'histoire se déplace de l'écran vers les coulisses, desquelles Catherine Breillat a filmé Isabelle Huppert dans sa propre peau, masquée par l'artifice du cinéma. Une manière de quitter son rôle de victime pour endosser celui de démiurge. Le jeu de miroir est troublant, d'autant qu'elle a fait de son alter-ego un personnage déroutant, à la fois autoritaire et chétif, doux et acariâtre, intellectuel et piégé par son orgueil.

 

  

Mais si cette lecture s'offre au premier abord, c'est bien parce que le film est désincarné au possible. Lumière plate, cadres peu inspirés, narration sans vie : Abus de faiblesse a des allures de téléfilm, que la distance invoquée par la mise en scène ne pourra corriger. La violence glaciale rappelle à coup sûr Haneke, mais chez le cinéaste autrichien, le filmage s'accorde au plumage ; ici, elle semble accidentelle, déconnectée du film. Le beau trouble au cœur de l'histoire se heurte ainsi à une caméra impassible, indolore, comme anesthésiée par la complexité des sentiments. Une gêne amplifiée par un scénario qui patauge, et se refuse à explorer les tréfonds de la relation entre les deux protagonistes. Seule la dernière séquence, d'une vraie force cinématographique, adresse le vrai sujet du film. Et confirme que Catherine Breillat avait les munitions pour tirer un film beaucoup plus percutant.

Résumé

Catherine Breillat avait les munitions pour tirer un film percutant. Elle n'a accouché que d'un film terne, sauvé par quelques moments de grâce.

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.

Lecteurs

(0.0)

Votre note ?

commentaires
Aucun commentaire.
votre commentaire