Critique : Quai d'Orsay

Sandy Gillet | 5 novembre 2013
Sandy Gillet | 5 novembre 2013

À l'origine, en 2009, Quai d'Orsay est une bande dessinée créée par Christophe Blain et Abel Lanzac (de son vrai nom Antonin Baudry, diplomate de son état) qui retrace l'expérience de ce dernier au ministère des Affaires étrangères quand Dominique de Villepin en était le sociétaire entre mai 2002 et mars 2004. Tant au cinéma qu'au sein du 9ème Art, les coulisses du pouvoir à la française sont très peu abordées de front et encore moins avec si peu de recul. Il n'y a que L'Exercice de l'État récemment pour s'en être brillamment approché. Alors certes, Quai d'Orsay change les noms et brouille quelque peu les cartes au sens littéral du terme puisque l'Irak est par exemple le Lousdem, que l'Oubanga est la Côte d'Ivoire et qu'Alexandre Taillard de Worms est donc Dominique de Villepin. Mais au lieu d'affadir le propos, cette mascarade formelle censée donner le change vis-à-vis de nos lois très strictes en matière du droit à l'image et des personnes, le renforce avec une acuité perverse vraiment jouissive. Et Bertrand Tavernier d'avoir très vite saisi la portée d'un tel matériau d'origine pour relancer une filmographie au point mort depuis 1998 et son extraordinaire Ça commence aujourd'hui.

Formidable naturaliste et sondeur de l'âme humaine en société, Tavernier peinait en effet à retrouver l'inspiration géniale qui lui a valu de réaliser des films définitifs comme Capitaine Conan, L'appât et autre L.627. Mais il faut en fait remonter à la fameuse trilogie L'Horloger de Saint-Paul, Que la fête commence... et Le Juge et l'assassin pour bien mesurer la portée de son dernier film. Entre pamphlet rigoriste mais point à charge, vision incarnée d'une diplomatie sans cesse en mouvement, critique drolatique mais lucide (ou plutôt drolatique car lucide) d'une administration loin des clichés habituels, Quai d'Orsay semble en effet réunir les deux âges d'or d'une carrière de cinéma dont le curseur se ballade entre une curiosité obsessionnelle et un savoir encyclopédique compulsif. Bertrand Tavernier est un érudit et son cinéma s'en ressent pour le pire et ici le meilleur. À commencer par l'adaptation. Jamais (ou alors très, très rarement), une BD aura su trouver sa voie vers le médium cinéma sans perdre une once de ce qui en a fait son légitime succès artistique. La folie des cases et des bulles, le trait entre caricature et formalisme acéré, l'énergie du récit... Rien n'est laissé dans l'ombre. Au contraire ! La caméra de Tavernier respecte, affine et viole ces mêmes cases pour leur donner toute la vitalité cinématographique nécessaire.

L'histoire est ainsi magnifiée et on adore retrouver ce personnage du jeune Arthur Vlaminck (Antonin Baudry donc) sous les traits d'un Raphaël Personnaz enfin à son aise, jeune diplômé de l'ENA qui est embauché en tant que chargé du « langage » au ministère des Affaires Étrangères. En clair, il doit écrire les discours du ministre interprété par un Thierry Lhermitte que l'on n'avait plus vu aussi inspiré depuis Une affaire privée de Guillaume Nicloux. Dans la jungle d'un ministère bardé de conseillers qu'il faut amadouer, le parcours du combattant est incessant, vicieux et très rarement gratifiant. Tavernier, qui n'en revient pas lui aussi de pouvoir découvrir et montrer l'envers du pouvoir, capte tout cela à la façon d'un puceau en première année de Sciences Po. Quai d'Orsay en deviendrait presque un bain de jouvence récréatif, cinéphile, ludique et à la maîtrise d'ensemble que l'on espérait plus. Comme si, au sein d'une carrière déjà très riche, le meilleur restait à venir.

Résumé

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.

Lecteurs

(0.0)

Votre note ?

commentaires
Aucun commentaire.
votre commentaire