Critique : Tel père, tel fils

Chris Huby | 18 mai 2013
Chris Huby | 18 mai 2013

Explorer la paternité et la remettre en question dans un contexte de crise familiale, tel est le thème du nouveau film du réalisateur japonais Hirokazu Kore-Eda. Ce dernier est un habitué de la croisette puisque trois de ses films y ont déjà été présentés : Distance en 2001, Nobody Knows en 2004 et Air Doll en 2009. Son cinéma est connu pour être relativement exigeant, essentiellement centré sur les problèmes familiaux et sociaux à l’instar du réalisateur mythique Yashiro Ozu. Par ailleurs, son écriture révèle une grande finesse d’esprit et son humour omniprésent n’omet jamais la critique du système japonais.

Tel père, tel fils est inspiré d’un fait divers japonais des années 60 : au bout de 6 ans, deux familles se rendent compte après un test dans une clinique que leurs deux enfants respectifs ont été échangés accidentellement à la naissance. Les deux couples se disent qu’il vaut mieux procéder au rétablissement « biologique » au plus vite et avant qu’ils ne soient trop grands pour qu’ils ne subissent pas des conséquences affectives. Cette idée est le point de départ d’une dramaturgie qui va emmener le héros du film (Maaharu Fukuyama, impeccable)  à être touché par un autre univers que le sien composé initialement par l’idéologie du travail, de la réussite à la japonaise et des sacrifices personnels.

En étalant les tests d’adaptabilité des enfants sur quelques mois, le couple principal fréquente occasionnellement l’autre famille, des gens timides modestes et généreux avec qui ils vont devoir composer. Deux univers s’affrontent alors et mettent en avant toutes les difficultés de communication entre des classes sociales à priori opposées.
L’échange des enfants, événement troublant et traumatisant pour les quatre parents, n’est qu’un prétexte pour développer une réflexion sur le manque de sentiment évident des success boys japonais dans un pays où le travail acharné fait naître, sur le long terme, un malaise au sein des classes dominantes. Etriqué dans de forts principes moraux, élitistes et dirigistes, le pater familias quadragénaire se retrouve ainsi forcé à se remettre en question. Il doit laisser son ancien enfant à une famille qu’il considère comme inférieure tout en voulant récupérer le leur qu’il regarde dans un premier temps d’un œil mauvais. Les deux enfants en bas âge sont le reflet direct de l’éducation que leur ont inculqué les deux familles. Le combat social se représente alors directement via leur intrusion au sein des deux couples qui n’en attendaient pas autant.

Le film de Kore-Eda travaille sur le sentiment d’ambigüité propre au héros qui souffre de devoir choisir entre son statut professionnel et ce qu’il est en train d’arriver à sa famille. Toute l’idée du japon social se retrouve là. Nombre de plans composent une image où le protagoniste principal est coincé entre du sombre et du clair, coupé aux talons, séparé du reste de sa famille visuellement et donc en pleine douleur intériorisée. Le réalisateur japonais se sert magnifiquement des décors naturalistes et de ceux de la cité pour opposer les deux univers : la famille pauvre vivote joyeusement et simplement au milieu d’un paysage encore sauvage, à peine touché par l’industrialisation, alors que les riches ont investi le haut d’une tour dans un appartement gris et glacial représentatif d’un ordre maniaque, triste et en réalité complètement désabusé.

Les frustrations et les blocages de ces derniers se lisent sur tous les comportements sentimentaux, que ça soit au niveau du couple lui-même (madame est très en retrait par rapport aux décisions du chef de famille, fait la cuisine, etc.), à travers l’éducation du fils (les leçons de piano qui continuent à bloquer inconsciemment, problématique reliée au père qui semble être un artiste manqué comme le fait supposer la guitare qui trône dans son bureau) ou avec les grands-parents qui ont instauré une culture dure, de survie, propre au Japon d’après-guerre. Pour le réalisateur, le message est clair : à force de souffrir et de se mentir socialement, on finit par se perdre, on renie l’essentiel et on met de côté son innocence créatrice. L’idée est aujourd’hui universelle.

Film passionnant et mélancolique, d’une richesse à plusieurs niveaux, Tel père, tel fils confirme l’excellente santé du cinéma de Kore-Eda. En pleine maîtrise de son art, le metteur en scène a filmé un chef-d’œuvre de finesse et d’élégance.

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