Critique : Avant l'hiver
De prime abord, on est ravi par l'investissement de Daniel Auteuil, qui occupe l'espace et l'écran d'un spleen contenu et dévorant. Son investissement est réel, sa mélancolie palpable, en parfait accord avec le désespoir poli d'une Kristin Scott Thomas une fois de plus impeccable. On rentre donc de plein pied dans ce scénario ouaté... jusqu'à ce que les comédiens ouvrent la bouche. Handicapés par un texte qui oscille sans cesse entre naturalisme convenu et sur-écriture maladroite, les personnages perdent en chair au fur et à mesure que le récit progresse. Conséquence d'une construction qui accumule les raccourcis et invraisemblances, obligeant les dialogues et le montage à d'étranges circonvolutions pour maintenir sans succès notre suspension d'incrédulité. Ainsi ne croit-on jamais à ce personnage de grand bourgeois, plus que conscient qu'on le manipule et que sa vie s'écroule mais ne s'en inquiète jamais véritablement et ne hausse jamais le ton.
Comme le révèle le derniers tiers du film, l'erreur de ce récit tient dans une confusion essentielle : s'il est important d'aimer ses personnages, il est dispensable qu'ils soient aimables, voire contradictoires dans le cas présent. Si Claudel veut ausculter les frustrations, errements et vicissitudes d'un petit milieu trop fermé, l'avalanche de bons sentiments qu'il prête à absolument tous ses personnages finit par agacer. On est ainsi profondément décontenancé de voir tout ce petit monde finalement survivre aux assauts de Leïla Bekhti, par la seule force de l'amour. Amour qui désamorce un adultère explosif, les trahisons fraternelles, jusqu'à décourager les plus pervers des meurtriers. Cette absolue naïveté ne serait pas un parti pris discutable en tant que tel, s'il n'apparaissait pas comme ridicule au vu des influences revendiquées que sont Sautet ou Chabrol.
Comme le révèle la dernière séquence, Avant l'hiver se voulait sans doute une histoire d'amour maudite, plus qu'une étude de mœurs ou un thriller mélancolique. Hélas, le scénario et la mise en scène ne nous permettent de le réaliser que bien trop tard, après 102 minutes écrasées par leurs excellents modèles. Au moins Philippe Claudel a-t-il le mérite de nous rappeler que les œuvres dont il s'inspire, en dépit de leur apparente simplicité, étaient et sont encore des merveilles de finesse et d'acuité.
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