Critique : Le Sommeil d'or

Damien Leblanc | 18 septembre 2012
Damien Leblanc | 18 septembre 2012
Apparu en 1960, le cinéma cambodgien a connu durant quinze ans un véritable âge d'or. Près de 400 films furent ainsi produits, pour le plus grand bonheur de salles qui accueillaient un public toujours friand d'aventures sentimentales ou d'épopées fantastiques. Mais ce foisonnement d'imaginaires prit brutalement fin en 1975 avec l'arrivée au pouvoir des Khmers rouges, qui interdirent cet art florissant et massacrèrent la plupart des acteurs, liquidant les rêves de tout un pays. Seule une poignée d'oeuvres a finalement survécu aux ravages de la dictature.

Français d'origine cambodgienne né en 1983, Davy Chou a longtemps ignoré l'existence de l'empire filmique perdu qu'il ranime dans Le Sommeil d'or. Loin de l'exposé pédagogique figé et du confort de la voix-off, ce palpitant documentaire explore le Cambodge d'aujourd'hui pour observer comment une cinématographie invisible continue, quarante ans après, à imprégner les corps et les esprits. Parallèlement aux entretiens avec des témoins de premier plan - réalisateurs ayant échappé au génocide, actrice-vedette du cinéma khmer ou cinéphiles nostalgiques - qui offrent un généreux aperçu des fictions passées (peuplées entre autres d'hommes-serpents et de vierges-démons), Le Sommeil d'or multiplie les partis pris stylistiques. En filmant délicatement d'anciennes salles de cinéma devenues karaokés cotonneux, en aidant le cinéaste Ly Bun Yim à reproduire ses trucages d'antan ou en proposant à de jeunes Cambodgiens de recréer une séquence de L'Etang sacré, long-métrage disparu de Ly You Sreang, Davy Chou abolit les distances temporelles et livre, en même temps qu'un déchirant film de fantômes, un malicieux éloge de la transmission entre générations.

Bien décidé à honorer une mémoire collective malmenée, Le Sommeil d'or sublime sans cesse les éléments qu'il tient à sa disposition, utilisant par exemple des chansons populaires des années 1960 et 1970 pour opérer de vivifiantes transitions. Il faut voir la façon dont le tube Tuk Sne Tuk Kamm, interprété par Sinn Sisamouth, relie un plan du visage songeur de Dy Saveth (Miss Cambodge en 1959 et ancienne étoile du cinéma national, qui enseigne désormais le chant et la danse) à une série de visions terriblement mélancoliques. Cette séquence exhale avec brio toutes les vertus fantasmatiques du septième art, brisant définitivement la frontière entre passé et présent, entre souvenir traumatique et lueur d'espoir, entre documentaire et fiction.

Si Le Sommeil d'or progresse de manière parfois évanescente, il s'achève par un épilogue d'une douce limpidité. Ly Bun Yim, ancien maître du cinéma cambodgien, y raconte le scénario de son film le plus ambitieux, L'Hippocampe, qui n'a jamais pu voir le jour. Le récit dure jusqu'au cœur de la nuit et fait halte devant une fenêtre ressemblant étrangement à un écran de cinéma. A la fois ouverture sur le présent et tentative de délimitation d'un imaginaire infini, cette vision nocturne convoque dans un même geste les puissances de l'art et leur inscription dans le réel. Mais l'obscurité n'est heureusement plus synonyme de terreur ni d'anéantissement : devenue l'alliée et le lieu de tous les possibles, elle permet enfin de regarder vers l'avenir.

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