Critique : Broken

Simon Riaux | 18 mai 2012
Simon Riaux | 18 mai 2012
Une impasse au cœur d'une banlieue pavillonnaire britannique. Trois maisons, trois familles, chacune avec leurs vicissitudes et démons. L'équilibre précaire du bon voisinage sera rompu le jour où pour échapper à une raclée, une adolescente peu farouche prétexte avoir été violée par un voisin. S'en suivra une peignée à l'anglaise, sèche et brutal, premier rouage d'un engrenage destructeur. De ce point de départ somme toute très convenu, on se demandait ce que ferait Rufus Norris, dont le premier film ouvre cette année la Semaine de la Critique. S'il s'agit d'une première réalisation, Norris n'est pas pour autant un débutant, et s'est notamment illustré comme metteur en scène de théâtre et d'opéra, un parcours qui explique sans doute quelques unes des immenses qualités de Broken.

L'artiste s'impose comme un très fin dramaturge, qui joue de ses nombreux personnages avec une grande finesse, usant tantôt de mécaniques extrêmement subtiles pour ordonner leurs actions, tantôt d'un sens de l'arbitraire qui s'accommode parfaitement de la brutalité des faubourgs populaires. Rumeur, concupiscence, jalousie, manipulation, extorsion s'entremêlent pour former une toile d'araignée, où la famille de Tim Roth aura le plus grand mal à ne pas venir s'engluer. Norris n'en reste pas là et dynamite des pans entier du genre qu'il arpente, ne s'intéressant quasiment pas à l'aspect social de son récit, du moins pas au sens où l'entendent la plupart de ses confrères. Les notions de reproduction sociale, de déterminisme, de lutte des classes ou de paupérisation en sont jamais véritablement traitées, et ne servent en rien le récit, qui leur préfère les mécanismes du théâtre et de l'opéra classique. Il sera donc ici question d'expiation, de damnation, de rédemption, de châtiment voire de sacrifice, conditions sine qua non que devront respecter les personnages espérant sortir indemnes du cercle vicieux qui se dessine sous nos yeux. Une inspiration qui puise sa source dans le théâtre sacré et la tragédie chrétienne, non pas qu'elle impose ou exige au spectateur une foi spécifique, mais en cela qu'elle en reprend les grandes figures symboliques.

L'agencement du récit, et donc les actes des personnages, s'en retrouvent largement bouleversés, si bien que le spectateur a le sentiment d'évoluer sur un terrain connu, qu'une lumière nouvelle lui permet de revisiter. Une réussite qu'il convient de mettre également au crédit des acteurs, Tim Roth et Cillian Murphy bien sûr, mais tout particulièrement la jeune Eloise Laurence, dont la palette de jeu impressionne de séquence en séquence. Elle s'avère accompagnée d'une troupe de comédiens débutants tous à la hauteur d'un script exigeant, à l'aise dans l'émotion comme les éruptions de sève adolescente. Leur investissement sauve d'ailleurs régulièrement le film de ses penchants pour l'illustration clipesque, certes maîtrisée mais tout à fait dispensable. Car le jeune réalisateur est plus d'une fois tenté de maniérer son propos, craignant sans doute de livrer une œuvre aux arêtes trop brutes, et y distille quelques transitions aussi habiles qu'artificielles.

On lui pardonne aisément ces quelques scories devant l'intelligence et la puissance de l'ensemble, qui rappelle avec force que l'on peut conter la plus réaliste et sordide des histoires, sans perdre en chemin le sens de la tragédie, et conférer aux plus crapoteuses des mesquinerie l'éclat ténébreux du véritable vice. Une horlogerie qui s'emballera jusque dans ses ultimes minutes vers plus de noirceur, chemin de croix indispensable pour accéder enfin à la récompense des justes : l'espoir nimbé dans la photographie cristalline de Rob Hardy, il est l'antidote du film au poison qu'il distille lui-même, qui sauvera les personnages comme le spectateur dans un sursaut de grâce inattendu.

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