Critique : Vacances à Venise

Nicolas Thys | 4 juillet 2011
Nicolas Thys | 4 juillet 2011
Dans la filmographie de David Lean, Summertime est bel et bien à part. Mélodrame flamboyant à l'allure classique, il se situe au croisement des deux périodes, britannique et américaine, de l'un des plus importants cinéastes anglais de sa génération. En 1954, quand le film sort, Lean, qui a débuté monteur pour Michael Powell ou Anthony Asquith, est déjà célèbre pour des réalisations comme Brève rencontre ou pour ses adaptations de Dickens mais Summertime va opérer une rupture, un point de flottement entre deux moments aussi importants l'un que l'autre bien que différents. Il va changer de style et d'horizon.

Du territoire britannique, il va passer à l'Italie avant d'embarquer définitivement pour Hollywood. Il part en terrain neutre tourner à Venise un film anglo-américain avec une américaine pratiquement quinquagénaire dont la carrière au cinéma est un peu sur le déclin, Katharine Hepburn, et un italien qu'on reverra souvent à Hollywood, Rossano Brazzi, l'amant romantique par excellence, héros d'un autre mélo flamboyant deux ans plus tard, Les Amants de Salzbourg de Douglas Sirk avec June Allyson cette fois.

D'une histoire assez classique en apparence, déjà il va tirer un film grave et dur sur l'amour à un âge avancé et, même si certains dialogues résonnent de manière convenues, d'autres passages montrent que le code Hayes ne s'applique pas encore réellement pour Lean. L'histoire pourra paraître, pour l'époque, amorale, valorisant le libertinage, avec des allusions sexuelles plus fortes que dans les films du même genre. Et c'est finalement à un film militant pour la cause de la femme indépendante que nous avons droit, même si évidemment il est bon de se remettre dans le contexte culturel et social de l'époque.

En expatrié, et à la recherche d'un renouveau, Lean ne cherche pas ici à s'approprier le paysage comme s'il le possédait depuis une éternité. En suivant pas à pas une touriste dans une ville inconnue, avec sa caméra légère et ses quelques déambulations, c'est à la découverte d'une ville qu'il nous invite, et à la recherche de lui-même comme l'actrice est à la recherche d'elle-même. La mise en abyme est facile mais elle est pourtant si lucide. Lean et son protagoniste ont le même âge, la même envie de se poser et de réfléchir sur eux-même et le même désir de changement. Ce film sera les vacances d'un réalisateur entre deux mondes.

Du noir et blanc, auquel il était habitué auparavant, il passe à un flamboiement impromptu, un technicolor d'une beauté à couper le souffle qui magnifie encore ces instants de découverte et de recherche du bonheur. En voguant entre l'ostentatoire des lieux, jusqu'aux clichés des touristes américains, et l'intime des situations, la scène du balcon entre le peintre et la propriétaire par exemple, Lean prépare sa nouvelle carrière, son éclosion prochaine. Chenille sur le point de devenir papillon, Summertime est sa chrysalide.

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