Critique : Familles à vendre

Johan Beyney | 20 janvier 2006
Johan Beyney | 20 janvier 2006

Quelques semaines après le magnifique Tout est illuminé de Liev Schreiber, Pavel Lounguine nous emmène lui aussi en Ukraine sur la trace de juifs américains à la recherche de leurs racines perdues lors de la seconde Guerre Mondiale. Thème commun, traitement commun (un mélange d'humour et de poésie) mais point de vue différent. En effet, le réalisateur s'attache ici davantage à ceux qui accueillent qu'à ceux qui débarquent et pour cause : ce sont tous des imposteurs.

C'est qu'Edik a promis à ses clients de chaleureuses retrouvailles avec leurs familles perdues à Golotvine, village pourtant rasé durant la guerre. Qu'à cela ne tienne, il existe non loin de là un autre village nommé Golutvine, rempli de gens de bonne volonté (habitants comme élus) prêts à se sacrifier pour la bonne cause et pour une poignée de dollars. Pavel Lounguine (à qui l'on doit le très réussi La noce et Le nouveau russe, entre autres) pose un regard amusé et tendre sur ses compatriotes. Corrompus, cupides et alcooliques, certes, mais surtout débrouillards, accueillants et attachants. Sous la férule d'un arnaqueur qui manie avec autant de maladresse le mensonge que sa débordante libido, le village va alors se plier en quatre pour donner à ses hôtes très particuliers ce qu'ils recherchent : une famille. Un bien joli discours sur le devoir de mémoire et la notion même de famille se dessine alors : ceux qui sont partis en ont autant besoin que ceux qui sont restés et, si tout le monde s'accorde pour faire semblant, où est le problème ? Car derrière le coup monté, les habitants de Golutvine sont bien les dépositaires de la mémoire du pays et, par conséquent, de ces familles à jamais perdues.

Les rencontres se font alors sur un rythme trépidant marqué du sceau du burlesque (un Kusturica en moins baroque). Les quiproquos s'enchaînent, les mensonges se multiplient et les menaces de tous bords se font de plus en plus pressantes, le tout avec une énergie communicative que Pavel Lounguine a cependant du mal à canaliser. A tel point d'ailleurs – et c'est là que le bât blesse -, que l'amusement finit par laisser place à une grande vague de lassitude devant autant d'agitation. À force d'accumuler les situations cocasses et les problèmes de dernière minute, le film finit par dépasser le seuil de saturation et nous perdre en route. Et le joli message de Familles à vendre se voit parasité par ce passage dommageable de la comédie burlesque à la comédie bordélique.

Pour l'intégrité de cette critique, reste cependant à évoquer trois contre-arguments de poids : les prix de meilleur film, meilleur scénario et meilleur acteur au Festival de Sotchi, le plus grand festival de cinéma de Russie.

Résumé

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