Critique : L'Homme qui rit

Damien Virgitti | 21 décembre 2012
Damien Virgitti | 21 décembre 2012
Le film de genre a toujours été un exercice délicat pour le cinéma hexagonal. Le manque de moyens, une culture du spectacle pas assez développée et l’absence de souffle propre à ses histoires ont rapidement enterré les nombreux essais de nos compatriotes dans les tréfonds du nanar. Il était donc tout autant à craindre de l’adaptation d’un des romans les plus célèbres de Victor Hugo, auteur connu pour son style plein de verve, et dont le personnage principal avait dernièrement été popularisé par le Joker de The dark knight. Mais en choisissant de rester le plus fidèle au texte, le réalisateur Jean-Pierre Améris, pourtant guère rodé à ce genre d’exercice, a trouvé le moyen de développer sa propre identité.

Dès les premières images plongées dans ce décor enneigé, baigné de cette lumière crépusculaire et longé de figures aux silhouettes expressionnistes, le spectateur est effectivement comme happé dans une imagerie trop rare dans le cinéma français pour que l’on reste insensible. Un travail soigné qui va se retrouver dans chaque décor, à chaque fois au carrefour de multiples influences (Cocteau est même cité) et qui contribue beaucoup à notre immersion dans le récit. Bien sûr, on pense souvent au Burton des grandes heures, notamment au travers de la musique de Stéphane Moucha, mais qu'importe tant la magie fonctionne avec en point d'orgue cette ambiance intemporelle et onirique savoureuse. 

Portés par une telle sincérité artistique dans la volonté d’émerveiller et de faire voyager, les principaux acteurs du film se donnent tout entier à leur rôle de figure tragique. Si Marc-André Grondin n’aura jamais le physique si particulier de Conradt Veidt, il incarne un Homme qui rit convaincant et compose avec Christa Théret un couple émouvant, couvé affectueusement du regard par l’acteur désormais quasi belge Gérard Depardieu. Car, avant de partir de chez nous, le comédien n’a pas oublié de de nous rappeler que quand il est convaincu par un projet, il sait habiter un film de toute sa présence et compose ici un épatant gardien de la Cour des Miracles dont la voix fatiguée de sagesse hante ce conte cruel de bout en bout.

Car au-delà du conte fantastique, il y a évidemment dans L’homme qui rit, une dimension politique indéniable chère à l’œuvre de Hugo. C’est sans doute là que l'on atteint les vraies faiblesses du film. Par une absence de souffle dans l'art habile de la démesure, le récit manque ainsi plus d'une fois d'impact. Si les mots résonnent toujours autant d’actualité (et n’ont jamais paru aussi modernes à l'instar de ce « chômage » que l'on entend au détour d'une phrase), on aurait rêvé d’un monologue final bien plus en forme de coup de poing. Le vrai créscendo dramatique espéré ne viendra ainsi jamais.

Seules alors les belles images de ce conte étrange subsistent vraiment et on en vient à regretter vivement que cette percée dans le fantastique ne dépasse pas, au final, le statut d'essai louable. A charge de revoir néanmoins Jean-Pierre Améris se frotter à nouveau au genre avec cette prometteuse expérience acquise.
 

Résumé

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Lecteurs

(2.5)

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commentaires
Flo
21/11/2023 à 12:55

On voit bien le parti pris qu’envisageait Jean-Pierre Améris pour son adaptation de Victor Hugo. L’ennui c’est que son film (même pas une heure et demie) s’écroule sous le monceau de références qui le composent.
Ne pas en faire un film contractualisé en Angleterre le prive d’une dimension sociale… En faire l’équivalent d’une fable intemporelle, émulant Carné, Fellini, Gilliam, Burton, avec tournage en studio et décors naturels et numériques apparents… ça se retourne contre l’intérêt du film, faisant ton sur ton puisque l’artificialité de l’image se superpose à celle du métier des personnages (des artistes de théâtre) et à celle de la Noblesse superficielle.
À ça s’y ajoutent même des références plus contemporaines (le look de Mick Jagger par exemple), et d’autres plus désuètes datant du cinéma muet – le visage de Christa Theret, oui… la démarche d’aveugle bras en avant de Christa Theret, non, c’est plus possible aujourd’hui.
Plus possible aussi d’enfoncer autant de portes ouvertes sur les apparences, la beauté intérieure, l’amour aveugle etc, même dans ce qui pouvait passer pour un film pour enfants…
En ne choisissant pas d’exploiter les caractéristiques vraiment « monstrueuses » du personnage de Gwynplaine (au maquillage ici trop discret), ni dans une veine réaliste, ni dans un style ouvertement BD, bref sans aller vers tout ce qu’un Joker a pu explorer de la folie anarchique… le film s’avère trop doux et planplan. Swann Arlaud, présent en second rôle dans ce film comme dans « Les émotifs anonymes », aurait pû inclure l’étrangeté dangereuse que nécessitait le protagoniste. Plutôt que le charme fragile de Marc-André Grondin.
Heureusement que Gérard Depardieu réveille l’audience à chacune de ses apparitions, la théâtralité de son Cyrano se mêlant à la douleur d’un père éternellement meurtri. L’humanité, on la trouve ici chez lui, uniquement.

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