Critique : Goodbye Mister Christie

Nicolas Thys | 2 janvier 2012
Nicolas Thys | 2 janvier 2012

L'année commence à peine, les perspectives cinématographiques s'annoncent alléchantes et pourtant, on sait déjà qu'il sera difficile en 2012 de trouver un film plus étrange et déjanté que ce Goodbye Mr. Christie. Ceux qui connaissent déjà Phil Mulloy peuvent s'en douter, l'auteur de la fameuse trilogie Intolérance, qui débutait par la découverte d'une cassette vidéo venue d'une civilisation extra terrestre dont les individus qui la compose ont le sexe à la place de la tête et la tête à la place du sexe, revient en pleine forme. Son objectif avoué est de faire des films dont on se souvient, même si on ne les aime pas. C'est une réussite totale. Déjà, on s'en souviendra longtemps, et on ne peut qu'aimer tant la performance est grande.

Difficile en voyant cette chose noire et blanche de ne pas penser à Lewis Trondheim et à l'avant-propos de Lapinot et les carottes de Patagonie où il explique la dimension expérimentale de son ouvrage : apprentissage du dessin et de la BD à coup de gros traits qui s'affinent peu à peu, l'ensemble étant doté d'une forme prédéterminée et laissant libre court à l'improvisation humoristique. Goodbye Mr. Christie est en ce sens une expérimentation cinématographique folle. D'abord d'un point de vue narratif. On navigue ici dans l'improvisation totale avec un récit qui part dans tous les sens au gré des envies de l'animateur au moment même où il compose. L'humour est constant et dérangeant, et il suffit de rappeler que l'animateur est un britannique facétieux pour mieux le comprendre. Seul aux commandes, malgré ce que laisse entendre le générique final emprunté à Toy Story 3 avec des noms différents pour faire croire à un « gros » film, le réalisateur passe d'un début aux accents du Théorème de Pasolini à un chien qui parle, quelques tueries et une visite en enfer sans que ça ne choque vraiment.

Et une expérience formelle et graphique. Les dessins sont simples et volontairement moches. Des silhouettes noires et blanches simplifiées à l'extrême, une épure grossière posée sur des fonds colorés kitsch. D'une part c'est plus rapide à faire, et d'autre part, Mulloy peut s'affranchir de toute technique narrative préexistante pour réinventer un langage cinématographique de base. Dix images servent à animer chaque personnage, cinq pour les portraits de face, cinq autres pour les profils. Et à l'aide de ces séries d'images répétées à longueur de film, avec des flashs, véritables « blink » et « blank » composés sur ordinateur, l'animateur nous entretient de sa fascination pour le mouvement, pour le mouvement simple et originel, celui du cinéma. Mouvement saccadé et au rythme décomposé à une époque de toute puissance de la machine où on le veut toujours plus fluide.

Difficile encore de ne pas penser à Norman McLaren ici. Si le réalisateur canadien, le plus important expérimentateur plastique du 20ème siècle, avait vécu à l'ère du numérique qu'il n'a fait qu'entrapercevoir, on peut imaginer qu'il se serait amusé ainsi avec ces nouvelles formes. Les traits instables de Goodbye Mr. Christie font penser à de la gravure, mais sans pellicule, l'ordinateur ayant pris la place de cette dernière. Sérialité et répétition semblent être les nouveaux moteurs. De même pour la musique. Quand McLaren composait à même la pellicule les sons de ses films, Mulloy s'amuse avec des créations musicales numériques, ralentissant des morceaux préexistants et s'amusant en faisant référence à des sites internet qui conçoivent des musiques type.

Sous des airs que certains, trop habitués à Pixar et à la magie des grands studios, prendront pour du foutage de gueule, Mulloy donne en fait à réfléchir de manière unique sur le numérique, l'animation à l'ère des techniques récentes et l'acte de création. Il joue avec le spectateur, dérangeant ses habitudes de consommation d'image, inventant un langage numérique narratif et plastique pour revenir aux fondements de l'art cinématographique : mouvements et cadences.

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