Critique : Insensibles

Patrick Antona | 15 septembre 2012
Patrick Antona | 15 septembre 2012

Premier long-métrage de Juan Carlos Medina, Insensibles aborde sous l'angle du conte fantastique le thème de l'enfance maltraitée, de l'occultation des traumas dans la mémoire collective et du reliquat du franquisme dans une Espagne apaisée en apparence, et ce avec un brio peu commun pour un film à la thématique aussi riche.

Si l'évocation de la guerre civile par le prisme de l'enfance avait déjà été à la base de L'Echine du Diable ou du Labyrinthe de Pan de Guillermo Del Toro (redoutables modèles s'il en faut), Insensibles s'en distingue par une approche plus frontale et misant moins sur l'onirisme, même s'il se classe indéniablemet dans le genre fantastique. En juxtaposant le destin parallèle de fils et de filles de paysans dôtés de la capacité d'être insensible à la douleur et la quête 70 années plus tard d'un chirurgien (impeccable Alex Brendemühl) qui cherche à se sauver d'un cancer létal, Juan Carlos Medina tisse une toile d'araignée implacable, servie par une gestion au couteau du flashback, et qui verra les deux narrations se rejoindre et se répondre, mélant suspens, horreur et exploration métaphorique.

Co-écrit par Luiso Berdejo (Rec), le scénario d'Insensibles prend son temps dans sa partie moderne et égrène les indices de manière minutieuse, tandis que sa partie "historique" appuie là où ça fait mal, avec le calvaire de deux des enfants (Ines et  Benigno) fortements attachés l'un à l'autre, et l'intrusion du fascisme et de tout son cortège de tourments. Se déroulant des années 30 aux années 60, ce segment s'appuie sur un brillant travail sur l'image et une mise en scène lyrique tout en réussissant à créer une ambiance morbide bien prégnante. Le cinéaste y décrit la lente évolution d'un des caractère principaux, de l'état de sujet d'expérimentation à celui de pantin aux ordres de la répression franquiste et se faisant parvient très clairement à installer une habile métaphore d'un peuple dont l'enfermement laisse peu de perspectives. Plus métallique et minimaliste, l'intrigue moderne présente le visage quasi-impassible d'Alex Brendemühl comme témoin de la révélation progressive d’un passé redoutable et aux implications plus profondes mais qui sera aussi la résurgence d'une émotion que ni le temps ni le déni n'auront résussi à abolir.

Juan Carlos Medina entre ainsi avec Insensibles dans la cour des grands, jouant aussi bien avec les nerfs du spectateur que délivrant un message concis et clair sur le destin d'une nation sans oublier la quête intime de la vérité. La précision de sa mise en scène réussit à faire passer les imperfections d'un scénario par trop calculé, qui tend parfois à mettre de côté l'imaginaire. Avec sa pertinente réflexion sur la monstruosité et la cruauté, le réalisateur laisse perdurer longtemps après la vision du film un état de cauchemar suspendu. Et surtout donne sacrément envie de découvrir ce qu'il nous réserve pour les films à venir.

Résumé

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