Critique : The Theatre Bizarre

Aude Boutillon | 8 mai 2012
Aude Boutillon | 8 mai 2012

Enthousiasme pour les uns, suspicion pour les autres ; l'exercice de l'anthologie, richement véhiculé par le genre fantastique, est fait de mille promesses, et autant de menaces. Surtout, il se fait suffisamment rare sur nos écrans pour qu'une tentative ne soit pas attendue de pied ferme par les amateurs du genre. L'initiative est cette fois 100 % terroir, et provient de Jean-Pierre Putters et Fabrice Lambot, dont la société Metaluna Productions se fait porteuse de cet intriguant Theatre Bizarre. Sept artisans du genre, gloires passées ou talents prometteurs, se sont ainsi vus conférer la délicate mission d'illustrer à leur façon le thème du grand-guignol, sans autre forme de contrainte artistique. On ne s'étonnera donc pas de voir se côtoyer, pêle-mêle, une fable lovecraftienne, un manifeste féministe riche en hémoglobine, ou encore un récit moderne touchant aux répulsions les plus épidermiques. Si la limite inhérente à l'exercice du film à sketches aurait pu se perdre dans ce fatras d'interprétations d'un leitmotiv commun, il n'en est rien -ou presque, la cohérence de The Theatre Bizarre ne souffrant guère de l'hétérogénéité de ses morceaux, certes inégaux, mais unis par un même souci de proposer des créations personnelles et sincères, criantes de générosité de d'amour du cinéma de genre. Surtout, ils s'illustrent par une obsession commune, matérialisée autour de l'exploration du couple, théâtre privilégié des pires immondices, de l'Amour, et de personnages de femmes vengeresses et carnassières, voire tout bonnement castratrices. Un thème fédérateur, semble-t-il involontaire, mais salvateur pour la cohérence de l'entreprise.

La réalisation de Jeremy Kasten marque le fil rouge entre les divers segments de Theatre Bizarre. Loin de proposer une narration et un épisode à proprement parler, Theatre Guignol, dont les teintes saturées ne manqueront pas de ravir les amateurs de giallo de la première heure, fait plutôt guise de hors-d'œuvre grinçant, dont l'animation est assurée par l'iconique Udo Kier, grimé pour l'occasion en maître de cérémonie mécanique et macabre. Premier changement de ton avec le Mother of Toads de Richard Stanley, conte old-school au possible planté dans les Pyrénées françaises, dont le charme désuet, voire daté, se situe au croisement de la mythologie occitane et de l'atmosphère sonore d'un Dario Argento de la belle époque, habité par des créatures au parfum de Lovecraft et issues du travail de notre talentueux David Scherer national. Si le parfum de naphtaline de Mother of Toads pourra prêter à sourire à plusieurs reprises, on savourera le plaisir intact de retrouver Catriona MacColl dans un rôle de sorcière lubrique. I Love You dissèque quant à lui la rupture d'un couple gangrené, portée par des dialogues incisifs et efficaces. Entre humour et cruauté glaciale, le segment de Buddy Giovinazzo se distingue par une mise en scène classieuse, quoique desservie par un dénouement prévisible et un brin sage. Voici donc venir Tom Savini, légende parmi les vétérans, armé d'un Wet Dreams dont le titre augure sans surprise d'un humour du meilleur goût ; vagin armé de mandibules et sections de membres en tous genres se battent ainsi au cœur d'un récit inceptionnisé au possible, faisant la part belle à la femme brimée, à qui il offre, enfin, l'opportunité de reprendre les armes. L'occasion de rasséréner le spectateur vorace avant le stupéfiant The Accident de Douglas Buck, réflexion poétique et mélancolique sur la mort à travers les yeux d'une fillette. En tous points hors-sujet dans le cadre d'une anthologie consacrée au grand-guignol, The Accident n'en reste pas moins chargé de sensibilité et de maestria, tant dans sa mise en scène que dans son interprétation, qui atteint des sommets le temps d'un regard échangé, muet, terrible et écrasant de sens. La pression se relâche à peine le temps de Vision Stains, occasion pour Karim Hussain (chef opérateur de talent) de jouer avec les répulsions afférant à la manipulation de l'œil et aux seringues, à l'aide de prothèses stupéfiantes de réalisme. Une étrange déclaration d'amour aux femmes, érigées en héros ordinaires, et une relecture pour le moins inhabituelle de la toxicomanie. Enfin, c'est avec le Sweets de David Gregory que le concept de Theatre Bizarre prendra tout son sens, à l'occasion d'un segment jusqu'au-boutiste dans l'absurdité et le dégoût, sur fond d'orgie alimentaire, dont l'excès éclipsera bien vite toute espèce de gourmandise latente.

Si la menace de l'inégalité plane sur Theatre Bizarre, la générosité et la sincérité de l'entreprise finissent d'emporter la sympathie et l'adhésion. Suffisant pour constituer un très bon film ? Pas loin. Pour savourer une déclaration d'amour à un certain cinéma alternatif et attendre de pied ferme le second opus ? Assurément.

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