Critique : Faust

Simon Riaux | 11 septembre 2011
Simon Riaux | 11 septembre 2011
De L'Arche Russe et son plan séquence délirant, en passant par Moloch et son führer au bord de la folie, le cinéma de Sokurov a cet immense mérite de toujours nous avoir proposé des expériences hors du commun. Le cinéaste ne déroge pas à la règle, en venant clore sa tétralogie consacrée au pouvoir, au cours de la quelle il se sera précédemment intéressé à Hitler, Lénine et Hiro Hito. Pour conclure, l'artiste s'attaque à Faust, et ne craint visiblement pas de se frotter à un des mythes les plus revisités par le cinéma, fort d'une proposition qui supplante presque instantanément une bonne partie des relectures de l'oeuvre de Goethe.

Un miroir suspendu dans les cieux, où se reflètent des nuages tourmentés, puis en contrebas, un territoire vaste et montagneux, sillonné d'éclairs, où croît une ville misérable, cloaque surpeuplé et grouillant d'êtres corrompus. C'est dans ce décor que nous précipite le premier plan, à la suite duquel nous découvrirons brusquement Faust, occupé à autopsier un cadavre. La tension générée par cette construction ne s'évaporera jamais, et transforme le spectateur en funambule halluciné, piégé entre une mise en scène parfois somptueuse (ou comment transformer un enterrement en profession de foi esthétique), et une ambiance de fin du monde jamais loin du grotesque (la révélation de l'homoncule entre Cronenberg et Baron de Munchausen). Le docteur et alchimiste dissèque des organes pourrissants dans son laboratoire de fortune, tandis que le diable, l'unique croyant du récit, se baigne au milieu de lingères élégiaques. Cet équilibre toujours maintenu contribue à créer une atmosphère lourde, poisseuse, et tout à fait surréaliste, qui n'est pas sans rappeler Moloch.

Sokurov n'hésite pas à largement revisiter le mythe original, et fait de Faust un être motivé, bien plus que par la soif de connaissance, par un appétit sexuel et pécunier toujours grandissant. L'oeuvre de Goethe est ainsi détournée pour nous offrir une fable cruelle sur la corruption du pouvoir. Si la démarche est périlleuse, le metteur en scène s'en tire très bien, entre autre grâce au sentiment diffus d'apocalypse qui parcourt l'œuvre. Ce dernier doit énormément à la photographie démente du film, à elle seule une performance hors du commun, rendant nécessaire son visionnage. Le spectateur évolue, ébahi, des remugles crapoteux d'un hospice qui rappelle La Leçon d'anatomie aux Scènes d'hiver, chères aux peintres flamands, notamment à Buegel l'Ancien. Jusque dans son final, qui jongle entre cauchemar sous perfusion de cinéma d'horreur, et métaphore naturaliste, nous sentons nos certitudes s'écrouler au fur et à mesure que progresse le métrage, engendrant un vertige saisissant.Tous ces élémentsse combinent pour accoucher d'un Faust qui n'est pas tant moral ou mystique que véritablement misanthrope et terrifiant.

On regrettera que le film se perde un peu en chemin, notamment dans son deuxième tiers. C'est que sa longueur et sa richesse s'accordent parfois mal avec les expérimentations du cinéaste, qui anamorphose l'image, la tord, l'écrase, l'agrandit, rarement pour le meilleur. Ces outrances ne fonctionnent généralement pas, pire, elles rompent l'illusion fascinante de regarder un tableau vivant, dont chaque photogramme est à mi-chemin entre peinture et captation du réel. On ajoutera qu'à l'exception d'un Méphistophéles très réussi, les autres comédiens sont un peu à la peine, notamment le personnage principal, au jeu trop monomaniaque.

Pour tout à fait profiter ce ce Faust, il faut donc faire abstraction de ces quelques errances, pour en découvrir les trouvailles et idées de génie qui se succèdent à l'écran. Récompensé d'un lion d'or en 2011, l'oeuvre de Sokurov prouve que sous ses atours atemporels (que les mauvaises langues taxeraient de maniérisme passéiste), que sa plus grande qualité est peut-être d'échapper à toute époque définie.

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