Critique : La Solitude des nombres premiers

Simon Riaux | 3 mai 2011
Simon Riaux | 3 mai 2011
La Solitude des nombres premier est un film qui n'en finit pas de dérouter, et l'on ne l'en blâmera pas. Comédie romantique, drame intimiste, film d'horreur, conte baroque, l'oeuvre de Saverio Costanzo est tout cela à la fois. En choisissant de suivre deux personnages à travers quatre époques de leur vie, soit sur une vingtaine d'années, le réalisateur ne s'est pas rendu la tâche aisée, loin de là, mais plutôt que de se perdre, il a su bâtir un film atypique et aussi attachant que dérangeant.

C'est son sens du cadre qui saisit en premier lieu, grâce à une composition de l'image souvent somptueuse. La forme ne parasite jamais l'action, et parvient même à lui conférer un surplus de naturalisme inattendu, comme lors d'une scène de bizutage adolescent aussi poétique qu'éprouvante. Le metteur en scène prouve à chaque séquence son inventivité, recyclant tout un pan du fantastique italien là où ne l'attendait pas, alors que s'insère parfaitement dans le récit une séquence onirique aux accents matriciels, un cauchemar végétal splendide.

Tout cela serait vain sans des comédiens à la hauteur, mais Costanzo est parvenu à composer puis diriger son casting à la perfection. Isabella Rosselini est formidable en mère tour à tour effrayée et effrayante, mais ce sont surtout Alba Rochwacher et Luca Marinelli, les nombres premiers du titre, jeunes gens doués, sensitifs et inadaptés, qui retiennent l'attention. Ils sont indissociables des adolescents qui les jouent au sortir de l'enfance, et dont l'interprétation est littéralement bluffante. Cette performance exceptionnelle s'inscrit dans le film sans le perturber, avec un naturel et une cohérence confondante, installant l'ensemble dans le laps de temps imposé par le scénario.

Enfin, on sera reconnaissant à l'auteur de s'échiner à nous raconter une histoire différente, plus âpre et touchante que bien d'autres récits sentimentaux, y injectant une part de trauma et d'horreur qui dans la réalité, ne se niche jamais très loin de la passion. Pour ces deux coeurs un peu trop fragiles, marqués au fer rouge par des parents incompréhensifs, ou tout simplement dans l'erreur, l'existence ressemble à une longue pente quasi-impossible à gravir, à moins d'être ensemble. Ce point de vue, émouvant et pertinent, est peut-être la plus grande force du film.

Avec ce qu'il appelle son « film d'horreur sentimental, » Saverio Costanzo emprunte beaucoup à Dario Argento, une inspiration aussi surprenante que bienvenue, qui confère au couple central de son oeuvre une dimension terrible et atypique, dont le tragique n'est jamais loin. Et alors que le long-métrage s'achève sur la bande originale orageuse et hypnotisante de Mike Patton, on se demande soudainement si l'on ne vient pas de voir ce que l'on attend à chaque comédie sentimentale. Voici la preuve qu'avec le canevas le plus convenu, on peut encore faire du cinéma plutôt que de capituler devant l'assaut généralisé de la mièvrerie aseptisée.

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