Winter's Bone : Critique

Simon Riaux | 26 février 2011
Simon Riaux | 26 février 2011

Winter's bone se veut à la frontière du polar intimiste et du drame social. Terrain idéal pour une oeuvre désireuse de coller à la réalité d'une Amérique rugueuse et violente, pas si éloignée de celle originelle et brute des premiers colons. C'est dans les forêts glacées du Missouri que Debra Granik pose le décor d'un drame initiatique et amer, dont la volonté de coller au près de l'histoire se fait parfois au détriment du film lui-même.

Ree a 17 ans, elle s'occupe de ses frères et soeur, ainsi que de sa mère, tombée dans un mutisme total. Quand son père sort de prison et s'enfuit, la justice menace de saisir leur seul bien, la maison décrépie qu'ils habitent au fond des bois. Ree n'a d'autre choix que de partir à la recherche de son père. Dans ce rôle difficile de jeune femme décidée à livrer son paternel aux autorités pour le bien des siens, Jennifer Laurence fait des merveilles. Tour à tour fragile et implacable, on s'identifie rapidement à cette gamine obligée de renoncer à ses plus belles années et au peu d'innocence qui lui reste pour mettre les mains dans le cambouis d'une famille éclatée et menaçante. Elle nous embarque sur les sentiers d'une Amérique rurale loin des clichés du redneck, où survie et non-dits sculptent des visages peu amènes.

 

 

Le film doit beaucoup de sa sobriété et de son élégance à sa photographie naturaliste, qui nous ferait presque ressentir le froid glacial qui règne sur les étendues boisées du Missouri. Certains plans interpellent, semblables à des natures mortes, ou sur le point de l'être. Devant la caméra de Granik, un tas d'automobiles abandonnées, un jeune garçon s'efforçant d'écorcher un écureuil ou une bâtisse calcinée prennent sens, et se transforment en pures fulgurances de cinéma.

 

 

Mais la structure du film est loin d'être aussi aboutie. L'ensemble, bien trop répétitif, se résume rapidement à une suite de visites à la famille ou aux connaissances, qui refusent systématiquement la moindre aide, avant de laisser échapper un indice ou de livrer une piste, laquelle amènera à la rencontre d'un autre individu rêche et hostile... Il faudra attendre les vingt dernières minutes pour voir cette tendance s'inverser, avant que l'intérêt du spectateur soit encore mis à mal par une conclusion à la fois trop rapide et trop simple. Le film effectue alors une boucle, revenant à son point de départ, sans que cette dynamique ne fasse sens, ou n'apporte plus d'ampleur au propos.

 

 

Résumé

Winter's bone est loin d'être inintéressant, mais à trop épouser son concept simple et aride, la structure du film finit par cruellement manquer de charpente. Le long-métrage arbore les même qualités et défauts que bon nombre de films indépendants américains, qualificatif devenu un label, dont les intentions et l'emballage finissent par primer sur un véritable travail narratif et structurel.

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Lecteurs

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commentaires
Flo 1
16/01/2024 à 21:15

La forme de ce long-métrage (adapté d’un roman) fait très « film indépendant de Sundance », avec une plongée dans un lieu (les Monts Ozarks) où on ne voit pas beaucoup d’activités trépidantes, mis à part la fabrication et les trafics de drogue.
Où il faut se débrouiller tout seul avec pas grand chose, et ne jamais quémander de l’aide.
Où on peut facilement trouver des plannings familiaux dans les lycées, car il y a beaucoup de filles-mères ici… et des trophées de sport et bureaux de recrutement pour l’Armée, seules façons de se tirer de cet endroit, si tant est que vous puissiez réussir ensuite à ne pas vous blesser ou vous faire tuer… mais de Services Sociaux, nulle trace dans le coin.
Un endroit où on crapahute beaucoup de maisonnettes en maisonnettes, chacun connaissant tout le monde… mais personne ne se parlant.
Tout ça sans juger une seule fois les habitants du coin, certes assez « ploucs », mais montrés dans toute leur humanité, avec des locaux peuplant l’image comme autant de comédiens non professionnels, ou de figurants anonymes aux visages très expressifs.

Le classique film indépendant au style semi documentaire ? Pas complètement car derrière ces codes du genre, très usités, se cache un véritable film de Détective.
La structure d’un Polar noir, qui voit un personnage quasi solitaire (avec un ou deux alliés proches), un peu marginal, dur à cuir et au fort caractère, rencontrer divers personnages, à la recherche d’une vérité qui lui serait profitable…
Et se prendre dans la tête des refus ou des mensonges, l’occasion toutefois de faire un tour de la région, à la rencontre d’individus pittoresques…
Et de finir par se faire bien tabasser, quand notre enquêteur se rapproche un peu trop près de la résolution du mystère – mais il s’en fout, il lâche pas l’affaire.
Sauf que ce héros à la poursuite de la vérité, ici c’est une blonde adolescente. Les personnages qui essaient de la séduire pour la détourner du chemin, ce sont des hommes passifs. Les tabasseurs intimidants, ce sont les femmes de la région – dont la toujours impressionnante Dale Dickey.

Et cette fille, c’est Jennifer Lawrence, pour la première fois en premier rôle (rappelant son Kentucky natal), qu’elle a arraché coûte que coûte.
Regard défiant, jamais de sourires forcés, jamais dupe de quoi que ce soit, marchant des plombes, cassant les pieds à tout le monde.
Et entre deux investigations, formant ses très jeunes frère et sœur à être autonomes, et s’occupant un peu d’une mère malade, alors que sa famille est en pleine précarité… et qu’il n’y a pas moyen de s’échapper.
Aucun père responsable, aucun homme capable de la mater (Garret Dillahunt y joue à nouveau les policiers un peu simplets). Seul John Hawkes, impressionnant en oncle dangereux, a droit à un chemin évolutif au moins aussi important qu’elle – on aurait même pu faire tout un film autour de son point de vue, ou de celui des autres personnages.

C’est également un conte moderne, une quête vers l’âge adulte filmée avec une forte dominante bleue, flirtant avec l’horreur fantastique dans ses derniers instants (le lac ! la tronçonneuse !!).
Puis se terminant avec une rupture de ton autour d’un banjo, d’abord teinté d’ironie (Hawkes est en vérité un bon musicien) au milieu d’un instant très funèbre.
Puis s’ouvrant vers un apaisement via une petite fille, dont l’acte improvisé est de toute beauté.
Grand petit film !

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