Critique : La Barbe à papa

Nicolas Thys | 14 octobre 2013
Nicolas Thys | 14 octobre 2013

Peter Bogdanovich est l'un des cinéastes qui mériteraient d'être reconsidéré. Souvent hué par la critiques française de l'époque, il n'est guère salué aujourd'hui que pour l'édition de ses entretiens fleuves avec Orson Welles. Pourtant, avec la ressortie récente en salles de deux de ses films, What's up Doc ? et maintenant Papermoon (au titre français plus que discutable : La Barbe à papa) c'est un véritable cinéaste que l'on redécouvre, de même que l'on verra Ryan O'Neal sous un nouveau jour. Trop souvent cantonné au succès de Love story et à son interprétation de Barry Lyndon, l'acteur est également très bon dans les situations comiques. Et dans Papermoon, accompagné de sa fille, Tatum O'Neal, ils forment un duo qui crève l'écran. Pour ce rôle, l'actrice est d'ailleurs encore la plus jeune comédienne à avoir remporté un Oscar.

Un noir et blanc lumineux, des paysages américains quasiment désertiques : falaises au bord de la mer, plaines, champs et maisons isolées dans un ensemble épuré et montré avec des angles tout sauf réalistes. Voilà comment débute le film : un étrange enterrement sans rien avant, comme si la vie existait à peine et qu'elle allait enfin faire son apparition pour la fillette et le simili-inconnu qui va la recueillir et faire un bout de route avec elle. On est là dans le road-movie le plus typique mais le plus réjouissant, avec la particularité de la comédie. Alors qu'il aurait été facile de sombrer dans le drame du quotidien, Bogdanovich choisit très justement une autre voie, beaucoup plus originale et tendre, teintée d'ironie, d'humour noir et de fausse méchanceté. Au lieu de la quête qui va grandir les personnages et qu'on retrouve souvent dans le genre, ils vont s'acharner à ne faire que s'amuser et à être des gamins sans autorité pour le meilleur et pour le pire.

Dans Papermoon, tout n'est que magouilles, combines et jeux. Comme dans What's up Doc ?, c'est l'arrivée d'une intruse qui va révéler Ryan O'Neal. Mais ici, ils vont partager les rôles car lui aussi va la transformer, la faire sortir définitivement de la banalité de l'existence morne et fixe qui s'offre à elle pour en faire une asociale bien plus amusée. Ces deux êtres, que tout rapproche mais qui s'amusent à s'opposer, voient le monde chacun à leur niveau : elle de son regard innocent, lui en sachant ce qui les attend, mais ils se complètent et découvrent un système de vie parallèle fondé sur le plaisir d'être ensemble. C'est comme si toutes ces petites villes, toutes ces étendues et toutes ces petites choses qui s'offrent à eux, n'étaient qu'un vaste terrain de jeu.

Egratignant au passage, comme un enfant qui découvre le monde sans trop le comprendre et sans être d'accord avec lui, le racisme, la prohibition et les hommes de loi, Bodganovich nous emporte dans une Amérique différente, vaguement nostalgique d'une époque où tout était possible et où l'homme pouvait trouver des moyens d'échapper au malheur ambiant et au poids de la société. Et surtout, il construit l'opposé d'un drame social à l'européenne en cherchant à offrir un regard neuf, très stylisé : non pas celui de tout les jours, mais celui d'un couple qui cherche à s'échapper. Il n'enregistre pas un réel déjà là, il le fabrique pour ses personnages.

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