Critique : La République Marseille

Thomas Messias | 6 octobre 2009
Thomas Messias | 6 octobre 2009

Vaste projet que celui de Denis Gheerbrant, auteur de sept films de durées très variables (entre 14 et 85 minutes) composant un panorama de la ville de Marseille, à travers ceux qui y vivent et ceux qui la font. Les sept films sortent la même semaine et sont proposés sur trois séances, d'environ deux heures chacune, permettant assez aisément de découvrir l'ensemble de son travail. Gherrbrant a tout filmé tout seul, avec sa caméra et son micro intégré, conservant ainsi une impression d'intimité et de confiance mutuelle qui donne à l'ensemble un réalisme et un naturel très criants.


La République (85') est le film phare de l'heptalogie, ne serait-ce que par sa durée. Situé au coeur d'un micro-quartier de Marseille, racheté par des promoteurs et bientôt agrémenté d'un tramway, le film montre la résistance menée par un groupe d'habitants que les groupes immobiliers aimeraient bien chasser pour récupérer leurs logements. Intimidations, perturbations excessives, on ne s'y prendrait pas autrement pour faire sortir un animal de sa tanière. Bien qu'un rien schématique dans sa façon de décrire l'opposition des petites gens et des gros requins, La République est un film fort, chaleureux, bouleversant aussi, lorsqu'une des riveraines conte avec une émotion infinie le traumatisme dont ont été victimes ses enfants, menacés de façon intolérable. Un beau portrait de groupe, qui montre également que l'adulte que l'on devient est souvent très différent de l'enfant que l'on a été.


La totalité du monde (14'), le plus court du lot, est un bref entretien avec peintre qui explique comment il est devenu celui qu'il est devenu, et surtout ce à quoi il aspire : capter l'instant présent, apprendre à le connaître en détail, ses vivants et ses morts, aspirer à « retenir la totalité du monde ». Un joli moment, pour une vision différente de l'existence.


Les quais (46') prend ses quartiers dans l'Estaque, port du 16ème arrondissement, à l'extrémité de Marseille. On y rencontre un Estaquéen, amoureux à en crever de son port et de son quartier plus que de sa ville. Avec passion, Rolf raconte son métier, l'apprentissage auprès de son père, les dangers qui guettent la profession... À l'écouter, il exerce le plus beau métier du monde ; sa force de conviction est telle qu'on n'est pas si loin de le croire. La partie la plus émouvante du film concerne le combat de Rolf contre ces immenses grilles qui grignotent peu à peu sa digue adorée, officiellement pour des raisons de sécurité, officieusement pour transformer peu à peu l'Estaque en port de plaisance. Son flot de paroles incessantes pourrait être exténuant, il n'est que le reflet magnifique d'un chamboulement intérieur.


L'Harmonie (53') est un lieu de vie où les habitants des quartiers voisins viennent jouer au loto (à moins que ce soit au bingo), apprendre à chanter quelques airs d'opéra, ou se réunir pour quelques réunions politiques. Des anciens militants communistes, déçus par la tournure qu'a pris leur parti de toujours, ont en effet monté une cellule dissidente et tentent d'exercer un minimum d'influence sur la législative à venir. Le film vaut par la description de l'activité permanente au sein de ce microcosme et la façon dont Gheerbrant dépeint la perte d'illusions de ces militants toujours désireux d'en découdre ; il est cependant loin d'être le plus passionnant des sept.


Les femmes de la Cité Saint-Louis (53') est émouvant dès le début, et enthousiasmant tout du long. Le film montre le combat obstiné d'un groupe de femmes désireuses de créer leur société afin de contrer l'organisme HLM qui veut vendre leurs maisons. Souvent assez âgées, ce sont des mères, des filles, aimant éperdument leurs demeures et leur quartier, et prêtes à défendre bec et ongles ce patrimoine symbole de toute une vie. Elles sont amusantes, parlent toutes en même temps, sont étonnamment dynamiques pour leur âge, et se battent, encore et encore, pour préserver leur passé et offrir à leurs descendants la possibilité de vivre également dans la Cité Saint-Louis. Les souvenirs s'emmêlent, les anecdotes pleuvent, et c'est le portrait de toute une génération qui se crée devant nos yeux.


Le centre des rosiers (64') plonge au coeur d'une cité et propose une approche sociale de son quotidien. C'est la tristesse d'un jeune homme que de bons diplômes n'ont pas sauvé du chômage ; c'est le désarroi d'un père dont le fils est mort poignardé ; c'est l'interrogations des enseignants, dont les élèves sont en situation de précarité et ont d'autres préoccupations que l'école. Heureusement, c'est aussi des rencontres, de grands moments de complicité, quelques moments éphémères mais inoubliables où enfin les familles vivent ensemble et oublient leurs problèmes. À échelle humaine, encore plus intime que les autres, c'est peut-être le meilleur film de l'ensemble.


Marseille dans ses replis
(45') est peut-être celui des sept qui a la plus faible unité thématique, vaste compilation de portraits souvent pittoresques, parfois vibrants, mais dont l'intérêt apparaît relativement limité lorsqu'on le place à côté des autres films. Il confirme néanmoins l'infinie tendresse de Gheerbrant pour cette ville qu'il connaît mais semble pourtant redécouvrir avec nous, de quartier en quartier, de rencontre en rencontre.


Ces six heures de documentaire, bien que forcément inégales, sont d'une richesse insoupçonnée et naviguent au travers d'une palette d'émotions fort étendue, donnant envie d'aller voir Marseille au plus près, sans l'écran pour nous séparer des gens, et de croquer le vie, sans jamais rien lâcher, pour faire triompher l'humain contre l'invasion capitaliste et mondialiste.

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