Critique : Les Murmures du vent
À ceux que le cinéma kurde effraie : voyez donc Les murmures du vent, grand petit film d'une durée raisonnable, qui pourrait bien vous faire réviser votre jugement. Le film de Shahram Alidi constitue en effet un solide antidote à toutes les idées reçues sur le prétendu misérabilisme d'un cinéma au financement forcément restreint. La première grande surprise se situe dans ce scope absolument prodigieux, le cinéaste faisant de chaque plan ou presque un véritable tableau d'où émergent quelques images inoubliables. À commencer par l'image qui orne le bas de l'affiche du film, qui montre un vieil aveugle attaché à un arbre plus épais que lui, sur les branches duquel sont attachés un certain nombre de transistors, symboles d'information et d'instruction fortement réprimés par les autorités locales. Tout le film est à cette image : poétique et inquiétant, singulier et édifiant.
Cette oeuvre-là aurait pu n'être que
théorique, suivant un vieux postier qui sillonne les villages du
Kurdistan irakien afin d'y remettre des lettres sonores, nouvelles
enregistrées sur de vieilles cassettes audio. Une chanson, un message ou
un cri d'enfant semblent en effet porter davantage d'espoir que bien
des missives écrites avec application et sueur. On voit d'ici les
sourires narquois des réfractaires : encore une oeuvre ennuyeuse et sans
rythme sur les interminables atermoiements d'un vieillard sans réelle
quête... Or Les murmures du vent
va exactement à l'opposé de ces préjugés, les concassant allègrement
pour offrir un spectacle parfois réjouissant, toujours admirable, par la
composition des plans comme par ce qu'il a à dire et à raconter. La
route du vieux Mam Baldar est semée d'embûches et de belles rencontres,
pour aboutir sur un constat assez terrible, traité avec humanisme mais
pas sans lyrisme : il est en effet question du génocide kurde, qu'Alidi
choisit d'aborder de façon frontale.
La destinée du Kurdistan semble
être à l'image de celle de ce pauvre aveugle rivé à son arbre : sans
repère, guidé uniquement par les nouvelles de l'extérieur, c'est un
territoire qui a longtemps tenté de résister mais se retrouve contraint à
l'immobilisme, privé de ses droits les plus stricts par une majorité
qui crée l'oppression. Sans en rajouter dans la thèse politique, le film
montre en filigrane à quel point l'information représente l'ennemi
absolu pour qui tente d'étouffer un peuple ou une nation. Coupez toute
communication et vous obtiendrez une simple bande d'êtres humains
isolés, marginalisés, donc friables à l'envi. Partant doucement pour
offrir un crescendo de plus en plus rentre-dedans, Les murmures du vent parvient à
décrire avec poésie un drame politique et humain dont la noirceur
tranche régulièrement avec l'intensité du cadre. Il serait dommage de
s'en priver.
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