Critique : Les Chats persans

Thomas Messias | 21 décembre 2009
Thomas Messias | 21 décembre 2009

Allez, soyez francs : qui parmi vous en entendant "cinéma iranien", n'a pas envie de prendre ses jambes à son cou pour éviter un torrent de tristesse, de misère et de boue ? Appréhension légitime pour qui a autre chose à faire que d'écumer les salles de cinéma en quêtes de nouveautés pas forcément divertissantes. Auteur de quelques films de très haute qualité - il faut notamment voir Un temps pour l'ivresse des chevaux, sorti en 2000 -, Bahman Ghobadi a sans doute trouvé la clé. L'un des meilleurs réalisateurs iraniens actuels - avec Kiarostami et Panahi, et loin devant la famille Makhmalbaf - se livre ici à une campagne de désaustérisation de son cinéma et de celui de son pays. Ça valait la peine de donner dans le néologisme : Les chats persans est la meilleure porte d'entrée dans un pays qui fourmille de vrais talents souvent contraints de travailler dans la clandestinité.


Tout comme le cinéaste, les jeunes héros du films se voient obligés d'écumer les caves insonorisées et les étables bien planquées s'ils veulent continuer à jouer du rock, leur passion absolue. Une musique malheureusement interdite par le régime en place... Et comme la résistance ne dure qu'un temps, l'étape qui suit logiquement est pour eux celle de l'exil : en tentant d'obtenir des passeports, les jeunes gens espèrent décoller vers l'Europe et y faire enfin entendre les morceaux qu'ils souhaitent défendre. C'est là qu'est toute la différence avec le parcours de Ghobadi, qui préfère utiliser un style occidental mais rester en Iran plutôt que le contraire. Les chats persans est en effet mis en scène de façon très moderne, rappelant principalement le cinéma british et les films indépendants américains. On n'est jamais loin du cliché, notamment lorsque le cinéaste propose des intermèdes clippesques, semblant tout droits sortis d'une émission de MTV, et mettant en valeur la musique jouée par ses héros. Ça peut légitimement rebuter, à moins de voir cela comme une opération fantaisiste destinée à attirer enfin les spectateurs - en particulier les 15-30 ans - vers un cinéma qui les fait fuir.


Mais bien plus qu'une campagne de promotion d'un cinéma méconnu, Les chats persans constitue avant tout un appel à l'éveil des consciences. Trop souvent dissimulée derrière des problèmes liés à la religion ou à la politique généraliste, la situation individuelle des jeunes adultes iraniens est pour le moins préoccupante. Même lorsqu'ils disposent de conditions de vie acceptables, leur accès à la culture est terriblement limité, tout comme leur droit d'expression. Bienvenue dans un monde où un DVD pirate n'est pas simplement le fruit d'un acte d'incivilité, mais représente aussi un crime lourdement répréhensible. Ghobadi filme avec dynamisme l'urgence permanente qui s'empare des personnages dans leur quête de papiers ou de locaux pour répéter, donnant à son film une veine quasi documentaire qui lui sied parfaitement. On en regretterait presque une fin bien exécutée mais bien plus scénarisée que tout ce qui précède, comme s'il fallait forcément apporter une conclusion en bonne et due forme à une oeuvre aussi libre.

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