Critique : Insiang

Marjolaine Gout | 6 novembre 2008
Marjolaine Gout | 6 novembre 2008

Un uppercut dévastateur ! Ce n'est pas sonné mais chaos qu'Insiang vous laisse. Voici un de ces rares films suscitant un choc indélébile. Insiang vous prend aux tripes, ou plutôt vous attrape intestin, cœur, cerveau, les ballottant jusqu'à tentative d'éviscération. Les novices en raid cardiaque  peuvent donc s'abstenir, par contre les inconditionnels de sensations fortes, ou amateurs de défibrillateur sont aptes à regarder ce long-métrage. (A signaler, certains effets indésirables sont susceptibles de se manifester durant le film et de provoquer par exemple cardialgie ou régurgitation ... au choix, selon le profil du spectateur !) Des images percutantes, un récit envoûtant, des acteurs transcendés : bienvenue dans l'univers de feu Lino Brocka ou du grand manitou de l'hypnose cinématographique made in Philippine.

 

 

Dès les premières images, les premiers sons, la magie opère...nos sens s'éveillent et malgré la « féro-véracité » du sujet présenté, on se sent happé dans ce monde intemporel et dantesque. Insiang pourrait être perçu comme une adaptation moderne du Othello de Shakespeare, il n'en reste pas moins le récital de Lino Brocka, son réalisateur et de son illustre muse incarnant l'insaisissable Insiang, Hilda Koronel de son nom de scène (alias Susan Reid pour les intimes).

 

 

Insiang déconcerte, surprend, bouleverse et trouble. D'une part, la caméra de Lino Brocka capture une tragédie au cœur d'un véritable bidonville, inscrivant ainsi ce drame dans une connotation documentaire étrange et captivante. D'autre part, dans cette atmosphère d'authenticité palpable s'ajoute la vivacité de la photographie couleur. Mais, au contact du contexte du film, celle-ci perturbe en semblant s'estomper pour conter ce drame obscur. Car Insiang reste avant tout un film enténébré qui se joue dans les bas fonds de la société où une ville s'active. Peuplée de personnages disparates, on y croise des êtres à la fois vils et virginaux : des naïfs,  des purs, des égoïstes ou encore des hominidés cruels. Ainsi, une population survie dans cette jungle composée de créatures imprévisibles où l'être le plus doux se transforme en prédateur pour pouvoir exister. Séduction, manipulation, tous les coups sont permis comme le bafouage des canons du cinéma philippin à l'instar de l'amour de la mère et de l'importance de la famille.

 

 

La splendeur réside dans la réussite du réalisateur à insuffler un éventail de sentiments et de sensations au gré d'une narration contenant une problématique latente, dense. La violence physique face à la violence (morale) mentale, la condition humaine, le bien et le mal sont quelques-uns des sujets abordés. Notre entendement reste constamment sollicité et mis à l'épreuve au fil de la progression de l'histoire. Lino Brocka nous propulse ainsi dans ce capharnaüm glauque où les ingrédients d'une effroyable vengeance se dessinent, succédant à l'angoisse, la peur, la honte et la haine. Les descriptions de l'humain sont ici cinglantes et déroutantes, notamment lorsque celles-ci émanent de leurs désirs. Au final, nous ne savons plus quelles opinions ou jugements porter et c'est par ce trouble que siège la dynamique du film.

 

Bref, attendez-vous à des rixes entre chacals et particulièrement au coup fatal d'Insiang. Brebis égarée et bafouée, elle renverse la chaîne alimentaire, dévorant sans vergogne les fauves devenus à la fois victimes et dupes. Pion métamorphosé en fin stratège, Insiang se joue de sa reine mère pour mettre en échec, le roi de ce bidonville, à la fois beau-père et bourreau. Le film nous abandonne, pantois, sur un impitoyable constat : La vie reste un combat macabre pour s'affranchir. Mais à quel prix ? Un chef-d'œuvre abasourdissant à faire frémir plus d'une mâchoire !

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