Critique : La Maison Nucingen

Nicolas Thys | 6 juin 2011
Nicolas Thys | 6 juin 2011

Raoul Ruiz est l'un des réalisateurs les plus prolifiques encore en vie. A son compte une quarantaine de longs-métrages en pratiquement autant d'années, de nombreux courts-métrages et expériences audiovisuelles diverses. Et, fait rare, même si certaines de ses œuvres sont plus faibles que d'autres, dans l'ensemble sa carrière est immense et il sait encore se renouveler. La preuve avec La Maison Nucingen réalisé en 2008, l'un des films les plus étranges de ces dernières années.

Adaptation très libre de Balzac puisqu'il n'en reste pratiquement rien, à l'exception du titre et du restaurant initial où le protagoniste entend quelques personnes raconter son histoire, le cinéaste opère ici un retour aux sources en même temps qu'il se renouvelle. Transitoire, et sans être aussi abouti que ne le seront ses Mystères de Lisbonne, le film n'en reste pas moins passionnant. Ruiz revient ici à ses inspirations surréalistes. Il utilise des acteurs qu'il connait déjà, notamment les français Elsa Zylberstein ou Laurent Malet. Mais il situe l'intrigue dans son pays natal, le Chili, là où il a fait ses débuts en tant que réalisateur. Et comme si les deux périodes se confrontaient, il fait intervenir fantômes et vampires dans une collision sèche mais terriblement envoutante.

Et des personnages qu'on ne voit pas. Instants vagues et incertains, le temps se dilate plus encore que l'espace qu'on peine pourtant à situer. Et le réalisme conféré par la vidéo numérique ne vient que renforcer l'inquiétante étrangeté d'une atmosphère macabre où la mort se confronte à l'excentricité d'un lieu et aux personnages tous plus baroques les uns que les autres. Ils saignent des gencives, ils parlent français dans un pays hispaniques alors qu'ils sont autrichiens, ils ne mangent que du porc, ils chassent des fantômes et soignent les morts, ils ont des visions et se faufilent de pièce en pièce sans rien savoir. Et sans que nous ne comprenions tout. Mais qu'importe. Le voyage est beau. La caméra flotte, délicatement, doucement et elle montre ce qui se dissimule dans les recoins sombres de l'image, à la recherche de l'esprit d'une morte peu cinématographique puisqu'elle se voit, elle s'entend mais jamais en même temps.

De décalage en décalage, le film finit hors de tout, dans le cerveau d'un homme qui n'en est plus vraiment un. Et impossible de ne pas songer à ces Autres que l'espagnol Amenabar aura dû partir tourner à Hollywood. Mais ici la folie se fait beaucoup plus intense et les morts et les vivants ne se détachent pas les uns des autres. Et les personnages en poncho qui traversent le film ne seront plus que des instants remémorés d'une mémoire passée pendant que toute l'aventure sera une sorte de rêve macabre d'un auteur ou de ceux qui en parlent, tous en mal d'histoire. Où est la vérité ? Finalement, dans le rêve, les hallucinations et la fiction que chaque spectateur viendra se créer.

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