Critique : Ne dis rien

Erwan Desbois | 18 mai 2005
Erwan Desbois | 18 mai 2005

Au milieu de la nuit, une femme terrifiée réveille son fils, jette en catastrophe quelques vêtements dans un sac et quitte son appartement pour aller se réfugier chez sa sœur. Ce que Pilar (c'est son nom) fuit, on ne le saura que dans la deuxième séquence du film, lorsque sa sœur retourne à l'appartement de celle-ci pour y chercher plus d'affaires : il s'agit du mari, Antonio, et des coups qu'il fait subir à Pilar comme en attestent les bulletins médicaux des urgences. En s'attaquant à un sujet aussi tabou que quotidien, Ne dis rien démontre la vitalité retrouvée du cinéma espagnol, qui n'hésite pas à aborder de front des thèmes délicats et polémiques et répond de ce fait à une demande toujours plus forte de la part du public – on peut aussi citer Les lundis au soleil de Fernando Leon de Aranoa et bien sûr le récent Mar adentro d'Alejandro Amenabar. Pas de Javier Bardem à l'affiche de Ne dis rien, mais un succès critique (7 Goyas – l'équivalent espagnol des Césars – dont celui du meilleur film en 2003) et public (plus d'un million de spectateurs) si inattendu qu'il prouve de manière indéniable la réussite du film.

La principale qualité de Ne dis rien tient à sa justesse de ton et à son honnêteté. De façon assez miraculeuse, la réalisatrice Iciar Bollain évite en effet les clichés et conserve jusqu'au bout un regard plein d'empathie et exempt de tout jugement de valeur envers ses personnages, comme sait si bien le faire Ken Loach par exemple. Plutôt que de diaboliser Antonio et de sanctifier Pilar, Iciar Bollain fouille les motivations et les émotions de chacun et donne peu à peu à voir toute la complexité du problème. Car tous deux sont mariés depuis neuf ans, et tout ce qu'ils ont pu construire ensemble pendant cette période (un foyer, un besoin réciproque de l'autre) crée des liens qui ne peuvent se défaire du jour au lendemain. C'est ce que montre la première partie du récit, au cours de laquelle Antonio va tenter de reconquérir Pilar en faisant preuve d'une bonne volonté qui semble en tout point sincère : on le suit ainsi au sein d'une thérapie de groupe, puis dans les avances romantiques et attentionnées qu'il mène auprès de sa femme afin de la séduire à nouveau. Des avances auxquelles Pilar est loin de se montrer insensible, puisqu'elle finit assez vite par retourner vivre avec Antonio malgré les mises en garde de sa sœur.

Comme les autres personnages secondaires, cette dernière est malheureusement réduite à un rôle purement utilitaire visant à exposer la pression sociale et familiale qui représente l'une des causes de la violence conjugale. Difficile en effet de sortir de ce cercle vicieux, tant pour Antonio devant la mauvaise volonté évidente de son groupe de thérapie (dont les membres ne démontrent aucun progrès et refusent d'ouvrir les yeux quant au traitement odieux qu'ils font subir à leurs femmes) que pour Pilar face à l'attitude de sa mère, qui fut pendant toute sa vie une épouse soumise et consentante, et de ses collègues, en perpétuelle quête de l'âme sœur et toutes prêtes à pardonner les débordements de leurs hommes.

Une fois Pilar revenue dans les bras d'Antonio, le cauchemar recommence : les brimades, la paranoïa, les insultes, et les coups. La mise en scène de Iciar Bollain écarte tout apitoiement, et laisse plutôt filtrer un fatalisme désabusé face à la répétition des mêmes scènes d'humiliation. Mais fatalisme ne veut pas dire indifférence ; d'abord très large et neutre, le cadrage se resserre petit à petit sur les visages du mari et de la femme, comme si la réalisatrice avait de plus en plus de mal à contenir sa rage face à cette violence. La porte de sortie qu'elle ouvre finalement à Pilar (via l'ouverture à l'art et à la culture) et la conclusion optimiste qui en découle sont des signes forts de sa part, qui montrent qu'il appartient aux femmes d'être fortes et de prendre leur destin en main afin de remporter le combat contre la violence conjugale.

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