Critique : Reservoir dogs

Pierre-Loup Docteur | 26 avril 2010
Pierre-Loup Docteur | 26 avril 2010

La première séquence d'un film est la plus importante, parce qu'elle donne les intentions du réalisateur, le ton de l'œuvre et pose les bases de l'intrigue. Celle de Reservoir dogs égrène bien ces informations, mais subtilement et au compte-goutte : on apprend que les personnages ont un emploi commun (même costume noir, même chemise blanche), répondent à des pseudonymes (un « Mr. Pink » glissé dans la conversation) et que l'un d'entre eux est leur chef (Joe, qui règle l'addition). Toutefois, bien que Reservoir dogs soit un film de gangsters s'écrivant au masculin pluriel, le film débute dans un café, avec des sujets de conversation ordinaires mais inattendus, tels que la réelle signification de Like a Virgin de Madonna. La discussion et les plans s'étirent dans le temps, anormalement pour un film de braquage. En faisant disserter ses personnages sur la culture de masse (ce qui sera une constante du film, puisque, entre autres, Joe sera comparé à La Chose des 4 fantastiques et qu'une discussion en voiture aura pour sujet de débat Pam Grier, icône de la blaxploitation), Quentin Tarantino, dès son premier long-métrage, casse l'image du gangster sombre et imposant pour le définir comme un être ordinaire, semblable au spectateur, avec lequel il partage forcément certaines connaissances musicales et/ou cinématographiques.

Après cet incipit peu commun, une ellipse constitue la deuxième audace consécutive du film : le casse n'est pas montré, mais on sait qu'il a mal tourné et on retrouve les gangsters se rendant un par un au point de rendez-vous, un entrepôt désert. C'est à huis clos que va donc se jouer Reservoir dogs, débutant là où un film fidèle au genre se terminerait. L'unité de lieu, le nombre réduit de personnages (une dizaine) et l'impression de temps réel produite par la captation de l'action selon des plans séquences et/ou des plans d'ensemble renvoient au théâtre. Le changement de scène va jusqu'à se déterminer par l'irruption dans le champ/sur scène d'un nouveau personnage (Mr. Pink, puis Mr. Blonde, puis Eddy...), mais Tarantino n'oublie jamais d'intégrer les particularités du cinéma : variations de l'échelle des plans, changement d'axe ou flash-backs rappelant que le cinéma est un art du temps... Dès son premier film, sa mise en scène est d'une grande rigueur : plongées et contre-plongées en champ contre-champ déterminent les rapports de force. Pour seul exemple de ce minutieux découpage, la séquence de l'arrivée à l'entrepôt : Mr. White et Mr. Orange arrivent à l'entrepôt. Blessé, Mr. Orange est vulnérable et sa survie dépend exclusivement de son collègue, filmé en contre plongé, alors que lui est cadré en plongée. Dès qu'une inconnue entre dans le champ (en l'occurrence un personnage, Mr. Pink, qui détient une nouvelle information), Mr. White et Mr. Pink sont tous deux captés selon une plongée, tandis que Pink est en contre-plongée. La séquence s'achève par une discussion dans les toilettes, et une fois l'information dévoilée (le casse a mal tourné car il y a un traître), White et Pink sont réunis dans le champ, et le plan où ils sont face à face est frontal et parfaitement symétrique, traduisant ainsi une égalité entre les personnages, disposant désormais des mêmes données. Ces informations sur les rapports de force entre les personnages sont exclusivement données par les moyens du cinéma, à divers moments de Reservoir Dogs.

En fin de compte, Tarantino conserve du théâtre essentiellement la place prépondérante accordée à l'acteur, dont le travail est continuellement mis en abyme dans le film, la question de l'identité étant au cœur de la relation entre ces gangsters ne connaissant chacun l'un de l'autre que le personnage qu'il incarne, identifié par une couleur. Le paradoxe du comédien devient la principale réflexion de Reservoir dogs lors du chapitre consacré à l'infiltré Mr. Orange, qui décrit la préparation de son rôle de taupe. Lors de ces répétitions, c'est le détail qui importe pour être convaincant et que l'illusion soit crédible. Dans le cinéma de Quentin Tarantino, la fausse note (ou même l'approximation) est fatale : ce qui est vrai aujourd'hui dans Inglourious Basterds, où, dans une taverne, un Anglais se faisant passer pour un Allemand est démasqué suite à une erreur de geste, l'était déjà en 1991 avec Reservoir Dogs. C'est un détail qui perdra Mr. Orange, illusionné par l'interprétation de son collègue Mr. Blonde. Car si Blonde, avant son entrée en scène, est présenté comme un fou furieux et un psychopathe, et qu'il n'hésite pas à torturer un otage dans une célèbre scène de violence ironique (celle de l'oreille, accompagnée par la chanson Stuck in the middle with you...), le second chapitre s'est focalisé sur son caractère (il est incontrôlable mais fidèle) et donnait (seulement au spectateur) une information qui perdra Mr. Orange lors de son mensonge avant le règlement de compte final. Reservoir Dogs apporte ainsi la justification de sa structure, et pose les bases du cinéma de Quentin Tarantino, en affirmant son admiration pour la culture populaire, les personnages barrés et surtout l'importance qu'il accorde à la maîtrise de son œuvre dans les moindres détails.

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commentaires
Grégoire
16/10/2022 à 13:08

1) « Joe sera comparé à La Chose »

>> sera comparé à la Chose
(ne pas majusculer l'article devant un surnom)

2) « sa survie dépend exclusivement de son collègue, filmé en contre plongé »
>> en contre-plongée

Ces boulettes n'empêchent pas votre critique d'être excellente.

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