Munich - critique de l'ombre

La Rédaction | 1 mars 2016 - MAJ : 09/03/2021 15:58
La Rédaction | 1 mars 2016 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Avec la tonitruante La Guerre des mondes, le papa d'E.T prouvait il y a quelques mois qu'il n'avait rien perdu de son savoir faire technique... quitte à y laisser des plumes scénaristiques. Les inconditionnels de Steven Spielberg l'intime, l'engagé, l'historien, trouveront avec Munich le plus beau lot de consolation dont ils pouvaient rêver.

Ancré juste après les attentats des JO de 1972, Munich extrapole, d'après un roman de George Jonas, une théorie de vengeance répondant à l'évènement qui avait secoué le monde entier. Cette vengeance, c'est celle du Mossad contre les commanditaires palestiniens de l'enlèvement et du massacre. L'occasion pour le maître incontesté d'Hollywood de revenir sur ses thèmes de prédilection (l'identité juive, la famille, la Shoah, la transmission...) via une structure scénaristique très appréciée et souvent utilisée par le réalisateur qui, après Amistad, Il faut sauver le soldat Ryan ou La Liste de Schindler, fait une fois de plus s'entrecroiser avec brio petite et Grande Histoire.

 

Photo Eric Bana

 

La petite histoire, c'est celle du leader quasi-improvisé du groupe de « vengeurs » et de ses acolytes. Loin du cliché de l'activiste forcené, de la brute barbare ou de la victime consentante, Eric Bana interprète avant tout un homme vrai et droit dont la foi, la raison et les convictions seront ébranlées par une mission dont la légitimité est aussi facilement vérifiable que dézinguable. L'acteur trouve d'ailleurs ici le parfait vecteur de son talent, jusque-là sous exploité dans des films bodybuildés (Hulk, Troie). À la fois fragile et fort, confiant et douteux, amoureux et distant, son personnage de survivant est un des plus beaux et torturés que Spielberg ait jamais filmé. Une complexité dont les stigmates ressortent dans une scène d'amour physique aussi paradoxale que possible.

Là où la femme d'Avner n'est qu'abandon et générosité, lui est magnifiquement déchiré entre l'amour qu'il éprouve pour son épouse et les fantômes qui le hantent et éveillent sa culpabilité et sa paranoïa. Habité par la fragilité de Robert (Mathieu Kassovitz), la détermination de Steve (Daniel Craig), le professionnalisme de Carl (Ciarán Hinds) et la sagesse de Hans (Hanns Zischler), Avner est ainsi le bouleversant catalyseur des émotions d'un groupe d'hommes tiraillés entre leur supposé devoir citoyen et leur morale personnelle.

 

Photo Eric Bana

 

Les catégoriques reprocheront sans doute à Spielberg d'avoir fait de son héros un être trop fragile et de ne pas avoir oser le parti pris. Mais avec un tel sujet, la polémique était de toute façon inévitable. S'afficher en faveur d'un bord ou d'un autre lui aurait valu tout autant de critiques. Mais être metteur en scène revient à faire des choix et Spielberg a fait celui de la nuance et de l'impartialité. Que l'on approuve ou non, l'absence de parti pris en est déjà un. Subtile, sa réflexion politique laisse ici place au libre-arbitre. D'une scène à l'autre, le point de vue change, à l'image d'une séquence entre Avner, l'Israélien, et son homologue palestinien pacifiquement rencontré dans une planque.

Quel que soit l'angle adopté par Spielberg, sa conclusion reste la même : aussi extrêmes soient leurs actes et leurs revendications, les deux peuples ne sont que les victimes innocentes et les pantins d'un système politique et économique qui leur est étranger. La situation décrite fait d'ailleurs directement écho à l'actualité là où les précédents films historiques de Spielberg évoquaient des problèmes passés. C'est d'ailleurs en cette lecture très contemporaine que réside l'atout principal du film.

 

 

Résumé

Spielberg reste aussi un faiseur de divertissement qui ne trahit pas sa réputation en la matière. Munich reste un thriller qui manie très habilement le suspense. Chaque exécution est ainsi minutieusement orchestrée et mise en scène avec une grande efficacité, et ce malgré un académisme un peu regrettable. Mais les arguments du film ne sont de toute façon ni l'action, ni l'exercice de style. Munich est surtout et avant tout une habile exploration dans l'inconscient d'hommes prisonniers de leur éthique et de leur patriotisme.

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Lecteurs

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commentaires
STEVE
02/03/2018 à 10:33

Très bon film!
Propos tout en nuances (rare concernant le conflit où la subjectivité dans les 2 camps et de ceux de l'extérieur prenant position est de mise), dialogues intelligents exposant bien la complexe situation du conflit (la scène de dialogue dans la planque que vous citez résume de manière fluide et intelligente à quel point ce conflit est complexe, qu'il n'y a pas de "bons" ou de "méchants"), la mise en scène est d'une grande virtuosité (comme toujours chez maître Spielberg) et c'est rare et bon de voir des espions de manière réaliste (les ratés, les doutes...)

Spielberg avait enchainé 3 classiques sombres:
Minority Report, La Guerre Des Mondes et Munich

Starfox
02/03/2018 à 10:11

Les exécutions dans ce film sont ultra graphiques (comme disent les ricains), pas forcément très gore, mais ce réalisme clinique atteint des sommets et provoque un malaise "organique". Comme dans Soldat Ryan.

L'exemple le plus frappant pour moi est l'exécution de l'espionne dans la péniche. Les mecs ne s'y prennent pas très bien d'où une mort un peu agonisante. Malaise total.

L'utilisation de la musique est extraordinaire. Avant chaque contrat, on a cette espèce de rythme lugubre qui fonctionne comme un prémice vers un truc bien macabre et violent.

Grand film.

KibuK
02/03/2018 à 08:21

Pareil. Un grand film !! Un grand Spielberg !!

Matt
01/03/2018 à 21:14

Un grand Spielberg pour ma part. Bouleversant, haletant voir lyrique dans le bon sens du terme.

La scène d'amour au ralentit ou le meurtre avec la bouteille de lait sont juste des moments qui ont bien imprégné ma rétine. Et que dire du plan final, qui, au delà du conflit évoqué, exprimant encore d'une fêlure bien présente dans le cœur des américains.

Une œuvre très lucide dont Le Pont des Espions ou encore Pentagon Papers en sont des prolongements depourvus de tout hasard.

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