Critique : Le Sabreur manchot - La trilogie

Stéphane Argentin | 21 mars 2005
Stéphane Argentin | 21 mars 2005

En 1967, un réalisateur encore méconnu à l'époque du nom de Chang Cheh mais déjà très remarqué l'année précédente avec Le trio magnifique, donne vie à l'un des personnages les plus mythiques du cinéma hongkongais qui engendrera de multiples suites au cours des années qui suivront : The One-Armed (« Le manchot armé » en français). Un seul bras les tua tous (The One-Armed Swordman) marqua également pour le cinéaste le début d'une trilogie qui se poursuivra en 1968 avec Le bras de la vengeance (Return of the One-Armed Swordman), suite directe du premier film et en 1971 avec La rage du tigre (The New One-Armed Swordman), considéré depuis comme le summum de la carrière de Chang Cheh et devenu un classique du genre.


À bien des égards, La rage du tigre constitue en effet une œuvre cumulant les qualités de ses deux prédécesseurs : l'intensité dramatique d'Un seul bras les tua tous et la puissance visuelle du Bras de la vengeance avec cependant des constantes immuables pour chacun des films. On y retrouve pour commencer les mêmes codes de moralité, d'honneur et de respect du kung-fu et de ses différentes écoles représentées par leurs maîtres respectifs que défend envers et contre tout (tous) le héros interprété par Wang Yu dans les deux premiers films puis David Chiang dans le troisième. Un thème récurrent qui sera d'ailleurs à l'origine de l'automutilation du héros dans La rage du tigre là où l'amputation perpétrée par une femme survenait très naïvement et accidentellement dans Un seul bras les tua tous.


Des femmes qui, comme toujours dans l'univers de Chang Cheh, demeureront d'ailleurs globalement en retraits et ne serviront guère plus que de faire-valoir aux agissements du héros. À l'origine de sa blessure dans Un seul bras les tua tous (Pan Yin Tse), elle lui prêtera ensuite secours (Lisa Chiao Chiao), l'écartera (temporairement) de la voie des arts martiaux et deviendra finalement sa femme et accessoirement la mère de son enfant au cours d'une séquence de rêverie très kitsch dans Le bras de la vengeance avant d'être reléguée au rang de simple « compagne » au bout d'une manche dans La rage du tigre (Li Ching). Seule exception mineure en temps de présence à l'écran mais néanmoins notable à cette règle du faire-valoir : la vénale « Reine Mille-doigts » dans Le bras de la vengeance qui sait, jusque dans ses bottes les plus fourbes et aiguisées, user de ses charmes les plus perfides pour parvenir à ses fins, rappelant alors la Rosa Klebb interprétée par Lotte Lenya dans Bons baisers de Russie.


Difficile en effet à ce niveau de ne pas constater la filiation de cette trilogie avec la saga naissance (Dr. No en 1962) des James Bond dans l'usage des armes-gadgets, depuis les « sabres pièges » d'Un seul bras les tua tous jusqu'aux bâtons articulés de La rage du tigre en passant par les roues dentées, le « sabre fusil » ou encore la lame rétractable lors de l'affrontement final du Bras de la vengeance, qui donne d'ailleurs le ton dès son générique d'ouverture 100% bondien. Ce deuxième film est d'ailleurs le plus mouvementé et le plus sanglant des trois où l'action quasi non stop du début à la fin sert de véritable nerf central au récit (l'assaut sur la forteresse des « Huit Rois »), là où la dramaturgie occupait majoritairement cette place dans le premier film (l'élimination progressive de tous les élèves jusqu'au moment où le manchot se décide enfin à sortir de sa « retraite »).


Ce n'est donc pas un hasard si, pour les besoins de La rage du tigre, Chang Cheh, parvenu à maturité visuelle et scénaristique (même s'il ne signe pas officiellement le script du troisième film), reprendra toutes les qualités de ses deux précédents long-métrages et décidera purement et simplement de « créer » un nouveau manchot désormais solitaire mais qui a néanmoins prêté allégeance aux mêmes codes d'honneur et d'arts martiaux. Après une nouvelle « traversée du désert » mûrement réfléchie qui vaut à ce troisième volet de retomber dans la même nonchalance que le premier film (peut-être le seul reproche imputable), le héros se décidera finalement à rendre justice au cours de cet ultime affrontement, désormais légendaire, à un contre cent, aussi virulent que sanglant où il devra trouver la parade pour défaire son adversaire et sa nouvelle trouvaille guerrière (le bâton articulé).


En revanche, depuis ses premières armes à l'écran, aucune riposte n'a encore et ne sera probablement jamais trouvée pour venir à bout de cette trilogie incontournable du sabreur manchot de Chang Cheh, œuvre majeure et influente depuis déjà plusieurs décennies.

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