Les Infiltrés : Critique pour ou contre

La Rédaction | 9 octobre 2006 - MAJ : 28/01/2020 22:30
La Rédaction | 9 octobre 2006 - MAJ : 28/01/2020 22:30

Une chose est sûre. The Departed (Les Infiltrés en VF) ne laisse pas indifférent. Mieux, il divise sacrément la rédaction. On pourrait presque résumer la situation ainsi : ceux qui ont vu Infernal affairs, n'aiment pas le remake qu'en a fait Scorsese et ceux qui ne connaissent pas le film hong-kongais, sont sous le charme. Mais, vous vous en doutez, c'est un peu plus compliqué que ça. La preuve :

On ne jouera pas au jeu de la comparaison entre Les Infiltrés et Infernal affairs (on laisse cela à JN et son avis négatif plus bas dans ces lignes). Le vieux Scorsese a assez de métier pour qu'on juge son film pour lui-même, et non par rapport au polar hong-kongais dont il est le remake plus ou moins officiel. Une fois ce point réglé, on peut se concentrer sur le degré de sénilité cinématographique du réalisateur.

 

 

 

Rassurons-nous, il est relativement faible. The Departed est un bon film de genre aux ambitions commerciales clairement assumées. Certes, 150 minutes, ça fait beaucoup pour un film de genre mais quand on a le bon goût de commencer son long-métrage avec Gimme Shelter des Stones, on peut se permettre quelques excès. À vrai dire, ce sont même ces derniers qui rendent Les Infiltrés intéressant. Le film est soutenu en permanence par une lutte entre une volonté manifeste d'épure et des scories baroques qui surgissent brutalement. Conflit est déjà à l'œuvre dans le jeu des acteurs : en première ligne, Matt Damon et Leonardo DiCaprio jouent le jeu du duel psychologique tout en retenue avec tout de même un froncement de sourcil de temps en temps. À l'inverse, le jeu des acteurs secondaires n'est pas un modèle de mesure, l'interprétation de Jack Nicholson atteignant déjà des sommets dans la longue carrière de cabotinage de l'acteur. Signalons aussi la présence de Mark Wahlberg qui fait de son personnage le plus sympathique du film en insultant tout le monde dès qu'il a plus de cinq secondes de présence à l'écran. Étrangement, tout ça ne gâche pas le film qui prend au contraire toute son ampleur dans ces trouées de grotesque.

 

 

 

Il faut en fait prendre The Departed comme une comédie nihiliste, ce qu'était déjà Taxi Driver. Les deux films ont en commun un final à la fois absurde et grandiose qui défait brutalement tout ce que les deux heures précédentes ont patiemment élaboré à coup de flash-backs virtuoses et atomisés. En gros, Scorsese étale son métier pour finalement montrer à quel point la lutte entre mafia et police tout comme le cinéma en général sont gratuits et ne riment à rien. Le plus remarquable, c'est de le faire au sein d'un film qui n'a rien d'un testament mais qui ressemble plus à un exercice de style pour le plaisir. Peu importe finalement le discours classique sur le thème du double et du renversement des valeurs, quand on peut filmer des grosses voitures rouler à toute vitesse sur fond de punk celtique. Ne parlons pas d'une histoire d'amour que Scorsese ridiculise immédiatement en montrant que Damon n'est même pas capable d'avoir une érection lors de la première nuit d'amour (en même temps, c'est une psy). La scène résume bien la logique de désamorçage à laquelle obéit en permanence The Departed qui ressemble à une longue gueule de bois cinématographique, ce qui est un compliment.

Le temps des grandes sommes telles Casino ou Raging Bull est révolu. Maintenant, il s'agit juste de faire des petits films de gangsters pour s'amuser. Bien sûr, Les Infiltrés ne valent pas Les Affranchis. Ils sont pourtant plus touchants et plus sympathiques, comme des petits frères indignes qui ne savent pas se tenir en soirée. Non, le dernier Scorsese n'est pas un chef d'œuvre. Il est bien moins ennuyeux que ça !

Julien Dury

 

 

 

 

Peut-on évoquer le dernier Martin Scorsese sans parler du script dont il s'inspire ? Peut-on oublier l'ombre de Infernal Affairs, en particulier lorsque l'on considère l'œuvre de Andrew Lau et Siu Fai Mak comme l'un des polars les plus réussis de ces dernières années ? Si l'on ne connaît pas la confrontation entre Tony Leung et Andy Lau (et c'est bien dommage), le point de vue sera certes différent, mais les principaux défauts des Infiltrés demeureront probablement évidents. Impossible sinon de ne pas comparer les deux films, même si Scorsese et son scénariste se défendent d'avoir vu la version hong-kongaise.

Il est vrai que l'espace de son long prologue, l'adaptation fait illusion si l'on excepte le contexte de mafia irlandaise, très loin d'être aussi crédible et inquiétante que les triades chinoises. Montage nerveux et qui restera, heureusement, une constante du métrage, enjeux clairs, rythme conquérant, Nicholson en sobriété dans sa pénombre et l'impression que Matt Damon et Leonardo Di Caprio ont trouvé le ton juste, on est intrigué, et même séduit par la verve de cette exposition.

 

 

 

Las, si la première heure, en s'éloignant quasi totalement de son modèle, réserve encore quelques bonnes scènes et surtout quelques répliques de grand style (en particulier le duo Sheen/Wahlberg, un peu gras mais efficace, et Alec Baldwin qui assume son côté vieille baderne grande gueule…), on se rend peu à peu compte que Scorsese a dépouillé The Departed de presque tout ce qui faisait la force et le charme de Infernal Affairs. Les réflexions sur l'amitié, sur l'honneur et sur l'identité sont évincées au profit du numéro grand-guignolesque de Nicholson et d'un triangle amoureux qui ne fonctionne pas un seul instant. Bien peu de questionnements chez ces personnages monolithiques, Damon et Di Caprio ne se connaissent pas et ne se rencontrent qu'à la fin, et la prestation de Vera Farmiga est d'une fadeur rare.

Jack Nicholson, par ailleurs, vole le show, et certains fans y trouveront peut-être matière à un plaisir coupable. Dans une imitation plutôt réussie du Joker de Batman ayant dépassé l'âge de la sénilité, l'acteur, visiblement en roue libre, repousse les limites du cabotinage, imite le rat, roule des yeux, pousse la chansonnette et semble laisser tout le monde perplexe. Parfois drôle, parfois embarrassante, sa performance étouffe malheureusement trop celles de Damon et de Di Caprio, tous deux relativement crédibles dans leurs rôles.

 

 

 

Parvenu au milieu du métrage, Scorsese finit par suivre, à la scène près, la ligne directrice d'Infernal Affairs en gâchant tous les moments inoubliables. La livraison perturbée par les « infiltrés », qui ouvrait le film de Lau et Mak en un jeu virtuose et tendu, devient ici totalement superflue, expédiée en 10 minutes, juste le temps pour Nicholson d'aligner quelques insultes désolantes envers des mafieux chinois. De même, la scène clef de l'original, la filature où les deux frères-ennemis tentent d'apercevoir le visage de l'autre, perd tout son sens de l'espace et sa grâce nocturne, au profit d'un contexte vulgaire (un cinéma porno, deux pauvres ruelles), d'une conclusion totalement frustrante et d'un nouveau sketch de Nicholson, presque aussi omniprésent dans Les Infiltrés que les gags à base de téléphones portables.

La dernière partie du film tourne à la débâcle, de la mort d'un personnage principal (analogue à l'originale, mais ici presque emballée comme un détail et sans la moindre implication émotionnelle) jusqu'à la manière dont le grand méchant va se trouver piégé comme un bleu, dirons-nous, tout sonne faux.

La conclusion, à rallonges, si elle reprend pourtant à l'identique le climax d'Infernal Affairs, se trouve grandement amoindrit par une surenchère sanglante et une construction laborieuse. Seule la toute dernière séquence, logique dans le cadre de cette version, diffère du dénouement du film hong-kongais. Mais alors que nous l'accueillons avec indifférence, sans rien ressentir d'autre que du soulagement, un dernier plan, censé être ironique, ou tout simplement amusant, vient prouver que Scorsese a voulu signer une comédie plutôt qu'un grand polar psychologique. Avec ce film, plus encore qu'avec Gangs of New York qui préservait quelques superbes séquences barbares, Scorsese dévoile les limites de son art vieillissant, et, face à ce renoncement, le génie âpre de Mean Streets et de Raging Bull semble l'ombre de lui-même.

Jean-Noël Nicolau

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