Critique : À bout portant

Julien Foussereau | 19 novembre 2007
Julien Foussereau | 19 novembre 2007

A bout portant occupe une place un peu spéciale au sein des remakes cinématographiques. En 1964, Universal décide de produire des réactualisations de ses films conçues exclusivement pour la petite lucarne. Celle de The Killers par Robert Siodmak figure en tête de liste et doit en toute logique devenir le premier téléfilm de l'histoire. Seulement, les exécutifs de NBC sont effrayés par la violence de cette version signée Donald Siegel et refusent sa diffusion. Ce n'est qu'après quelques essais concluants en drive-in qu'A bout portant trouvera son salut par les grandes portes des salles obscures.

 

Un salut bien mérité tant Don Siegel est loin, très loin, de faire honte à Siodmak et Hemingway. Du premier, il reprend la trame en forme d'enquête à la Citizen Kane imaginée par John Huston dix huit ans plus tôt ; du second, le désenchantement du genre humain pour mieux le fusionner avec ses obsessions nihilistes. Dès les premiers plans, le ton est donné : si proche de son inégalable modèle et, en même temps, si loin par son âpreté abrasive et expéditive au point de laisser le lyrisme « siodmakien » sur le carreau. A bout portant est habité par un sentiment d'urgence, une envie de rentrer tête baissée dans le récit par le biais d'un agencement de plans nerveux ; quand les cadres obliques ne visent pas à accroître le malaise du meurtre inaugural par sa violence frontale (pour ne pas dire aveugle) frappant celles et ceux qui se mettent dans le chemin des gâchettes à louer.

 

Il est vrai que le titre VO d'A bout portant (The Killers) semble plus justifié que chez Siodmak dans le sens où les hitmen sont clairement le moteur de l'histoire. Ce sont eux qui enquêtent sur les circonstances ayant conduit au nettoyage de Johnny North par leurs soins. Certes, il est fait mention d'un million de dollars envolé dans la nature mais ce n'est au fond qu'un cache-sexe pour la vraie question taraudant le tueur fatigué qu'est Charlie : pourquoi un homme ne tente-il même pas de fuir devant sa mort certaine ? Ce qui était sous-entendu chez Siodmak explose ici comme une droite dans le visage d'Angie Dickinson : la force sans retenue et le froid calcul. La métaphysique au bout de la mandale, en somme. C'est justement par ce jusqu'au-boutisme mal aimable, n'ayant cure d'emporter l'adhésion qu'A bout portant devient admirable malgré des flash-back plus convenus, moins palpitants même que le récit premier.

 

D'une certaine manière, A bout portant, par ses protagonistes toujours plus déshumanisés, plus fonctionnels que jamais, annonce l'avènement imminent de ce que l'on appellera le nouvel Hollywood incarné par Don Siegel, bien sûr, mais aussi Arthur Penn, Sam Peckinpah ou encore John Boorman. A propos de ce dernier d'ailleurs, on pourrait presque voir le film de Siegel par la présence royale de Lee Marvin et Angie Dickinson comme une répétition générale du Point de non retour.

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