Critique : Seul au monde

Jérémy Ponthieux | 9 février 2013
Jérémy Ponthieux | 9 février 2013

Chuck Nolland n'est pas qu'un simple employé de Fed-Ex qui travaille d'arrache-pied par passion pour son entreprise. Tout comme Robert Zemeckis n'est pas un publicitaire affamé par le dieu dollar qui sert les intérêts d'une multinationale. Chuck est plus que ça, c'est un digne représentant de l'homme civilisé aveuglé par une efficience productive, qui voit la domination du temps comme une priorité. Sa ligne de conduite n'est pas mise en scène comme une formidable manière de vivre ni comme un haïssable orgueil capitaliste, mais se montre à nu sans jugement ni pointage du droit moralisateur. C'est toute la délicieuse saveur de ce Seul au monde que de laisser une marge au spectateur pour juger ou non du personnage et de sa célèbre entreprise, en tout cas dans une première moitié qui remet au goût du jour le mythe de Robinson Crusoé.

Eloigné de la fable-fantasme que fut Forrest Gump, Zemeckis dégraisse un maximum son film d'effets mélodramatiques ou de scènes types, si bien qu'il s'imprime un rythme sec aux antipodes des canons hollywoodiens. Divisé en 3 actes reliés par la personnalité en métamorphose du protagoniste central, le récit colle à l'environnement de ce dernier pour mieux en faire partager l'expérience. C'est toute la force d'un film qui n'a pas pris une ride en douze ans, que de faire ressentir l'absolue solitude du personnage sans recourir à des procédés technologiques (à tout hasard la 3D) ni même à trente-six plans de grues pesants, disséminés ça et là sans une once d'excès. Faussement modeste, le cinéaste se révèle en fait habile conteur puisqu'une fois débarqué sur l'île il parvient tout de même à conserver intact l'intérêt qu'on peut porter à voir Nolland fabriquer du feu ou chasser du poisson. Bien qu'il s'autorise quelques morceaux de bravoure (le crash d'avion en tête), Zemeckis n'a pas peur de prendre le temps de disséquer la lente découverte de l'île par Chuck, ni même de sauter quatre ans et conserver intact l'empathie ressentie pour ce personnage bigger than life.

Une fois lentement cueillie l'adhésion du spectateur, le cinéaste peut abandonner l'île vendue par la branche marketing du projet pour embrayer sur un dernier acte que beaucoup auront considéré à tort comme plutôt tiède. C'est que le cinéaste ne profite pas du retour de Chuck pour instaurer une métaphore caustique sur le monde de l'entreprise ni même sur l'incapacité du nouveau sauvage à retrouver la civilisation moderne. La belle idée du scénario est de faire briller cette solitude que Chuck a toujours contenue en lui et qui est celle que nous partageons dans le fond tous, petits êtres solitaires se raccrochant à une envie de vivre sans raison profonde. Ouvrant la veine émotionnelle de son récit, le cinéaste fait intervenir la délicate partition d'Alan Silvestri et s'autorise ces confrontations interdites par la désertion de l'île, dans un enchaînement de désillusions qui émeuvent à plus d'un titre. 

Et lorsque Chuck passe le cap de son but principal, le récit le fait atterrir dans un no man's land sentimental qui renvoie à celui de son spectateur même, puis le protagoniste est d'abord un monsieur tout-le-monde à qui la vie a joué plus d'un mauvais tour. Lâché dans un carrefour allégorique, le personnage a le droit à un plan final d'une infinie délicatesse, porte ouverte d'un long-métrage qui prend bien soin de ne pas afficher ses opinions. Au milieu de cet émouvant maelström d'une vie brisée, on retrouve l'interprétation nuancée et incarnée de Tom Hanks, à qui la bouille attachante et le regard meurtri tiennent lieu de piliers essentiels au bon fonctionnement du projet. Il est le yin d'un cinéaste qui s'affranchit des attentes et de ce que son budget lui permet, pour mieux poser un regard d'un humanisme inquiet sur cette histoire qui pourrait être la notre. Immanquable !

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