Critique : Tetro

La Rédaction | 21 décembre 2009
La Rédaction | 21 décembre 2009

Il est des films dont on sait dès les premiers plans qu'ils sont destinés à rester dans les annales et à marquer l'histoire du cinéma. Tetro en est l'un des plus beaux exemples de cette décennie. Le nouveau film de Francis Ford Coppola ne se distingue certes pas par l'originalité de son récit, plutôt commun mais néanmoins très travaillé et passionnément tragique : une histoire de famille dans laquelle les rôles se mélangent. Mais  nombreux sont les chefs-d'œuvre qui partent d'histoires simples qu'ils transcendent pour aboutir à un absolu esthétique.

Coppola réussit là un coup de maître et il prouve qu'il n'est jamais aussi bon que lorsqu'il est libre et qu'il cherche à expérimenter, à renouveler une forme cinématographique que chacun semble chercher aujourd'hui à reprendre sans jamais vraiment l'améliorer. Faut-il approcher les 70 ans pour faire un cinéma nouveau ? Il semble que c'est le cas. Et pourquoi pas. En 45 ans de carrière le réalisateur aura tout fait : de la grande fresque épique aux petits films indépendants, s'aventurant dans de nombreux genres, et osant sans jamais se priver.

A voir Tetro on ne peut s'empêcher de percevoir des réminiscences de l'auteur de Rusty James. Déjà pour le jeu d'acteur mais avant tout pour sa plastique expressive : le noir et blanc argentique et éclatant du second rappelant sans cesse celui du premier.  Après avoir tout testé, s'être expérimenté à tous les genres, Coppola s'amuse avec ce qu'il ne connait pas encore, ce que d'aucuns semblent considérer comme la prochaine révolution technologique mais dont nul n'osait réellement se servir à quelques exceptions près : le numérique. A Hollywood, Michael Mann découvrait pas à pas de nouvelles formes spécifiques au médium, Coppola ouvre la brèche et s'y engouffre comme un enfant devant une caverne aux trésors pour le pur plaisir des yeux.

C'est à ce genre de détail qu'on reconnait les maîtres et les cinéphiles. Ils ne font que parler de leur amour pour le cinéma, pour tout le cinéma. Et celui-ci reste intact. Et lorsque vient le temps de passer à la pratique, ils osent sans rejeter a priori les nouveautés. Déjà dans un film comme Dracula, Coppola revendiquait son attachement aux origines en s'amusant avec les inventions du cinéma des premiers temps, ce qu'on perçoit également dans le nom de sa société de production : American Zoetrope, du nom d'un jouet optique.

Dans Tetro, à l'opposé de Dracula, le lyrisme grandiose se fait oppressant voire claustrophobe et Coppola va avant tout chercher  à penser un futur du cinéma, un renouveau formel. Pourtant impossible de penser cet avenir sans se référer au passé : tout doit être rattaché à une histoire ainsi qu'à une Histoire. Une histoire personnelle, un récit, une histoire du cinéma. Les fondements ont été posés voilà bientôt 115 ans et désormais c'est un Coppola manipulateur entrelace tout et fait s'imbriquer diverses pièces dans son propre monde onirique. L'histoire du père de Tétro, chef d'orchestre renommé fait directement référence au père du réalisateur, Carmine, chef lui aussi et à son oncle Anton, musicien également.

Avec les citations directes des Contes d'Hoffman et indirectes des Chaussons rouges de Michael Powell, c'est le passé cinéphile de Coppola qui resurgit et qu'il partage avec Martin Scorsese, dont il va reprendre l'idée du noir et blanc pour parler du présent tout en racontant le passé en couleurs déjà utilisée dans Raging Bull. A ces couleurs, Coppola rajoute la question des formats avec lesquels il joue passant allègrement d'un scope éblouissant pour le noir et blanc à un 16/9 pour les séquences couleurs et à un 4/3 pour les films de Powell. On navigue perpétuellement dans différentes formats et dans différentes strates de temps et d'espace.

Et, loin d'être de la citation pour la citation, Powell est essentiel pour appréhender toute la puissance formelle de Tetro. C'est un chainon permettant de passer d'un univers cinématographique à un autre, et qui n'a pas vu ne serait-ce que les deux films précédemment cités, doit courir les voir. Ils parlent avant tout de danse, de corps en mouvement qui ne peuvent s'arrêter dans un festival de couleurs somptueux : le technicolor dans toute sa splendeur. Les Contes d'Hoffmann c'est d'abord L'Homme au sable une histoire d'opticien appelé Coppola et d'un automate, d'un humain au corps mécanique. Tout est vision, rouages et main. C'est ce corps qu'on verra démembré dans Tetro : on est encore au stade de l'enfance de Bennie qui sera mise à mal par le départ de Vincent Gallo.

Les Chaussons rouges sont dans cette séquence que s'est réappropriée le cinéaste vers la fin du film, lorsqu'une danseuse toute de vert vêtue, Moïra Shearer devenue Cyd Charisse, couleur favorite des écrans permettant de réaliser des incrustations numériques, exécute un pas sur une mer qui apparait. D'une mécanique qui déraille on passe à des effets visuels nouveaux. A noter que le procédé d'incrustation par écran bleu, idéal pour l'analogique, a été adapté pour les films en couleurs par Lawrence Butler en 1940 pour Le Voleur de Bagdad réalisé par... Michael Powell ! La boucle est bouclée. Michael Powell est l'un de ces grands créateurs visionnaires auquel ne pouvait que se référer quelqu'un comme Coppola.

Rien dans Tetro n'est laissé au hasard. C'est un film sur la création artistique par l'un des grands créateurs de notre temps. Ou plutôt sur l'innovation comme remède à la mort. On est ici dans un cinéma total où toutes les histoires se fondent et se confondent. Et il fallait bien avoir l'audace et les connaissances d'un cinéaste depuis toujours parmi les plus inventifs comme Francis Ford Coppola pour donner un coup de fouet à un cinéma qui tarde à se renouveler alors que d'autres, bien plus jeunes, semblent avoir une peur bleue du changement et n'osent pas créer. (5/5)

Nicolas Thys

 

 

En 2007, dix ans après L'Idéaliste, Francis Ford Coppola était (enfin) de retour derrière une caméra avec L'Homme sans âge et déclarait vouloir « expérimenter, faire le cinéma qu'il avait toujours rêvé de faire, en toute indépendance ». Une initiative certes fort louable mais le résultat, à l'opposé du personnage titre, était loin d'être à l'épreuve du temps de la part d'un réalisateur à qui l'on doit quelques unes des perles intemporelles du Septième Art.

2009. Le discours et la méthode demeurent inchangés : Tetro est produit dans l'indépendance la plus totale via la propre société du cinéaste, American Zoetrope, et écrit de la main même de Coppola... pour un résultat à l'écran encore plus laborieux. L'expérimentation annoncée est belle et bien au rendez-vous : tourné dans un somptueux scope noir et blanc entrecoupé de certains passages en couleurs dans des ratios fluctuant, Tetro a, sur la forme, très fier allure. Racée et posée (les mouvements de caméra sont réduits au strict minimum), la mise en scène accentue avant tout les jeux d'ombre et de lumière afin de mieux souligner le solide travail d'acteurs accompli, à commencer par le trio Gallo / Verdù / Ehrenreich qui nous convie à quelques scènes (de ménage) des plus poignantes.

Si la forme est élégante, le fond quant à lui l'est beaucoup moins. Cette histoire d'un homme, Tetro, qui a décidé de couper les ponts avec son passé et sa famille, avait pourtant tout pour séduire. Mais à trop vouloir brouiller les pistes, Coppola s'embrouille et nous avec. Les séquences en couleurs, supposées attiser la curiosité et dont on ignore si elles relèvent du domaine de l'imaginaire ou bien du passé, finissent par lasser et avec elles toutes les raisons d'adhérer à cette scission familiale. Dès lors, le tunnel narratif devient vite interminable (d'autant que le film affiche un solide 130 minutes au compteur) pour se solder par un twist final digne d'un soufflé à la limite du risible.

De cet itinéraire d'un fils qui cherche à se débarrasser de l'aura de son père, musicien à la renommée mondiale, l'on retiendra finalement une chose : chez les Coppola, la fille Sofia a bel et bien su trouver sa voie à l'heure où la légende du père, Francis Ford, s'éteint. (1/5)

Stéphane Argentin

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