The Last Guardian : entre émerveillement et frustration extrême, un jeu compliqué à aimer

Geoffrey Crété | 26 décembre 2016 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Geoffrey Crété | 26 décembre 2016 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Presque dix ans d'attente, de doutes et d'espoir pour que The Last Guardian arrive enfin sur le marché. Après Ico et Shadow of Colossus, SIE Japan Studio embarque dans une nouvelle aventure fantastique. 

ARLÉSIENNE

C'était presque le Don Quichotte de Terry Gilliam : développé depuis 2007, annoncé en 2009, prévu en 2011 puis 2012, d'abord sur Playstation 3 puis 4, avec le départ de l'équipe originale et des tumultes en coulisses, The Last Guardian était presque devenu une douloureuse plaisanterie. 
De Duke Nukem Forever à Half-Life 3, ce n'est ni le premier ni le dernier exemple, capable d'alimenter les rêves, fantasmes et frustrations. Mais peu importe le poids des années, des fausses annonces et du bad buzz : il suffit d'une réussite pour balayer les mauvais souvenirs. Pour accepter que c'était mieux ainsi. C'est là tout le problème : The Last Guardian n'est pas cette réussite. Loin d'être une catastrophe, le nouveau jeu des créateurs d'Ico et Shadow of Colossus est bon, et regorge de belles choses. Mais il renferme aussi de terribles faiblesses, si énormes qu'elles abîment considérablement l'expérience, et d'une manière si ridicule que la déception n'en est que plus grande.  

Photo

 

LES GARDIENS DE LA GALAXIE

The Last Guardian tourne donc autour de la relation inattendue et inquiétante entre un enfant (un garçon, même si à l'origine c'était une petite fille) et une créature gigantesque, entre le chat et l'oiseau. Liés par de mystérieux événements révélés au cours de l'histoire, ils évoluent dans une immense forteresse en ruines, reprise par la végétation et protégée par des chevaliers animés par une force inconnue.

The Last Guardian a pour lui un univers et une mythologie fascinantes. Le monde que découvre le duo est grandiose et fabuleux, avec des dimensions pharaoniques qui donnent le tournis. La nature des ruines (des grottes, des tours, des ponts, des escaliers, des cascades, quelques pièges et mécanismes) n'est pas tant originale que brillamment utilisée : l'exploration est douce, basée sur la contemplation et l'immersion presque religieuse. Lara Croft et Nathan Drake auraient parfaitement pu fouler les mêmes pierres que Trico, mais dans une ambiance qui aurait laissé moins de place au silence.

 

Photo

 

Le jeu prend ainsi le temps et protège farouchement ses secrets. Il faudra attendre de longues heures avant que l'enfant et Trico retrouvent un semblant de leur passé, apportant subitement une dimension puissante à leur quête. Il faudra patienter jusqu'aux dernières séquences pour mesurer la dimension folle de l'univers, et récolter de précieux éléments pour saisir les enjeux des lieux. Dans son climax, l'aventure gagne une intensité remarquable, tant dans la mise en scène que dans la dramaturgie. The Last Guardian se révèle alors être un objet majestueux et magnifique, d'une imagination envoûtante.

 

Photo

 

THE LAST OF US

Si l'histoire de The Last Guardian parvient à prendre son envol au point de bouleverser, c'est sans surprise grâce à la relation entre l'enfant et Trico. La ficelle est attendue, bien connue, mais d'une efficacité indéniable. Loin de n'être une simple babiole marketing conçue pour vendre des produits dérivés, ce Falcor à plumes est éblouissant.

Techniquement, Trico est une petite merveille. Les bruitages, le vent dans ses plumes, et surtout son comportement félin. La manière dont il regarde parfois le décor et le héros, la capacité qu'il a de transmettre des émotions par ses yeux et son corps. L'immersion passe principalement par la créature, véritable moteur émotionnel et narratif. Trico est le mystère et la clé, c'est l'énigme et la réponse, c'est le début et la fin de toute l'aventure.

 

Photo

 

La bête offre une poignée de séquences épiques mémorables en témoignant toute son affection au bambin, qui échappe de peu à la mort de nombreuses fois. La musique Takeshi Fukurawa (qui a des accents de Dario Marianelli) accompagne merveilleusement bien ces instants magiques où les édifices s'écroulent tandis que Trico grimpe et bondit pour survivre. Dans ces moments, l'adrénaline le dispute à l'émotion.

The Last Guardian laisse donc une très forte impression avec une aventure puissante, spectaculaire et narrée avec brio - l'utilisation de la voix off du héros pour accompagner parfois guider est une bonne astuce. Pourquoi le jeu serait-il alors une fausse réussite ? Parce que derrière chaque aspect réussi se cache une faiblesse, voire un problème monstrueux.

 

Photo

  

CRISPATION ET HURLEMENTS

Dès les premiers instants, il y a la désagréable impression que quelque chose cloche dans la prise en main. Comme si le lien intangible entre la manette et le personnage, l'univers, était fragile. Après quelques heures, c'est une évidence : le gameplay et les mécaniques de jeu de The Last Guardian sont désespérément approximatives et frustrantes.

Trico est certes adorable et beau, mais difficile de ne pas avoir envie de le frapper lorsqu'il refuse d'obéir. Le jeu a beau répéter en boucle les ordres disponibles pour utiliser la bête, une évidence : le temps de réaction, la difficulté à déchiffrer les interactions possibles et le positionnement laborieux rendent l'expérience très désagréable. Avec l'impression que l'aventure patine sérieusement lorsque l'issue d'une pièce est claire, mais qu'il faudra manoeuvrer plusieurs longues minutes afin d'amener Trico à effectuer le saut nécessaire, sans nous oublier au passage. De quoi donner l'envie de le contrôler indépendamment comme une chimère dans Final Fantasy, et s'éviter des crises.

 

Photo

 

Le temps de latence transforme certaines phases simples en crise de nerf, avec de sérieux bugs dans l'interaction entre le décor et la créature, qui aura parfois besoin qu'on redescende ou remonte pour le "réveiller". D'où l'impression ridicule d'une durée de vie rallongée, puisque deux minutes d'énigmes deviennent souvent 8 minutes de lutte avec la manette et la bestiole à plumes. Que la voix du narrateur se retrouve parfois à répéter une instruction en boucle, ou à la donner trop tôt si l'on décide de sortir du script quelques instants, n'aide pas.

Ce script se révèle d'ailleurs difficile à comprendre, avec une illusion de liberté qui deviendra vite une horreur. Au lieu d'offrir un univers vaste, The Last Guardian se résume vite à un chemin trop précis à retrouver, avec des mécaniques répétitives. 

 

Photo

 

GRANDEUR ET TREMBLEMENTS

Mais le grand problème de The Last Guardian est sa caméra, qui rappelle les heures sombres de Tomb Raider dans les années 90. Elle butte contre les murs et se bloque dans les éléments du décor, devenant une sorte de boulet à traîner, dont la lourdeur effarante se répercute à bien des niveaux. Lorsque Trico affronte les gardiens et que l'enfant s'accroche à lui pour se protéger, il y a aura parfois une minute de parenthèse où la caméra n'offre rien d'autre qu'un gros plan des plumes ou s'agite désespérément entre les murs du décor, tandis que la musique héroïque laisse deviner le combat qui se déroule à quelques mètres.

 

Photo

 

Mais au-delà de ces montées d'adrénaline avortées, The Last Guardian lutte contre sa double dimension. Entre la taille de l'enfant et celle de Trico, entre les escaliers à échelle humaine et les constructions gigantesques, entre les moments intimes et les séquences épiques, la caméra hésite. Que l'aventure alterne entre de grands espaces ouverts et des couloirs étroits où même Trico peine à se retourner n'aide pas. Le jeu est incapable de suivre.

De nombreuses séquences trépidantes et sauts incroyables sont abîmés par cette caméra qui, même si elle est contrôlée par un joystick, se révèle désespérément lourde et mal calibrée. Il faudra donc parfois observer d'un oeil blasé un mur en gros plan tandis que Trico saute au milieu du vide pour se poser sur une colonne. 

 

Photo

 

LA TERRE DU MILIEU

Difficile d'adorer The Last Guardian, mpossible de ne pas l'aimer. Dans ses meilleurs morceaux, il est fabuleux et magnifique, mélange noble de poésie et d'action irrésistible dans une structure claire et sobre. Dans ses pires moments, le jeu est un couloir de frustration, d'une lourdeur exaspérante, incapable d'être techniquement à la hauteur de ses belles ambitions. Comme s'il avançait à deux vitesses, laissant le joueur tiraillé entre la théorie et la pratique, l'appel de l'aventure et la réalité du gameplay.

Lorsque le générique de fin arrive, la frustration a quasi disparu. Le souffle épique, l'émotion subtile et la mythologie fascinante de The Last Guardian ont pris le dessus sur l'envie de pousser l'enfant et Trico dans le vide pour mettre un terme à leur couple laborieux. La musique de Takeshi Fukurawa adoucit le coeur, qui fond devant la conclusion de l'histoire. Le souvenir des grandes séquences sensationnelles (une tour qui s'écroule, un pont qui s'écroule, un rocher qui s'écroule, ou quelques images marquantes à protéger pour ne pas abîmer le mystère) demeure plus fort que les longues minutes passées dans un bassin, à tenter d'amener Trico à plonger vers la sortie.

 

Photo

 

The Last Guardian est donc un objet curieux et étrange. Bien plus agréable dans la mémoire que dans l'instant présent, il laisse des souvenirs contrariés, faisant appel au meilleur et au pire de l'expérience vidéoludique. S'il ne coule pas à pic à cause de ses énormes problèmes techniques et faiblesses, c'est grâce à la force discrète de son invitation à vivre une aventure fantastique. Parce que chaque démonstration de ses limites est suivie d'un grand moment d'émotion ou de spectacle.

Reste que la nouvelle aventure de l'équipe de Shadow of Colossus et Ico, au-delà des nombreuses qualités inscrites dans son ADN, est loin d'être une réussite totale ou même véritablement satisfaisante.

 

PS4

 

Résumé

The Last Guardian réussit un triste exploit. D'un côté, il invite à un voyage fabuleux, d'une dimension épique et poétique envoûtantes. De l'autre, il met les nerfs à rude épreuve à cause d'une gameplay approximatif et d'une mécanique globablement très brouillon. Ou comment les aspects techniques d'un jeu finissent par grandement abîmer un objet assez fantastique.

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.

Lecteurs

(0.5)

Votre note ?

commentaires
dams50
14/02/2018 à 16:41

SOTC a enfin trouvé de quoi exprimer pleinement sa puissance avec le remake effectué par les talentueux gars de Bluepoint pour PS4.
Voilà qui mériterait bien une maj de votre section jeux-vidéo.

alliant
10/09/2017 à 20:12

Très beau jeux , ambiance vertigineuse et magnifique ...mais fin trop triste !

Wes
26/12/2016 à 17:45

@Ant

Ce que tu considères et acceptes comme l'aspect félin "je fais ma vie" de Trico, je l'ai perçu comme un problème, parce que trop aléatoire et gênant pour certaines phases (notamment dans les espaces serrés)...

AntPumTea
26/12/2016 à 17:41

La caméra est affreuse en effet... par contre pas de problème avec Trico, il répondait bien et justement je suis étonné de lire ça parce que je trouvais le dosage entre caractère canin (j'obeis) et félin (je fais ma vie) était l'un des point fort du jeu!

Wes
26/12/2016 à 16:10

@Tricow

Tu dois alors avoir un don, parce que j'ai rencontré tous ces problèmes. Et les trois tests que j'ai pu lire les mentionnaient eux aussi.

Tricow
26/12/2016 à 15:57

J'ai fini le jeu et à part pour la caméra assez folle par moment... Je n'ai pas eu les mêmes problèmes.
Pour ce qui est des ordres... Trico a toujours bien répondu (à partir du moment où on comprend qu'il doit nous voir quand on lui donne un ordre)

Pour moi un des jeux de l'année. Un des jeux de la génération.

votre commentaire