Tomb Raider : critique enragée d'un comeback sanglant

Geoffrey Crété | 31 mars 2013
Geoffrey Crété | 31 mars 2013

A stature de héros, traitement de héros. Entrée au panthéon des icônes cultes pour débusquer les Batman et Superman du cœur des adolescents, plus sensibles à ses courbes suggestives qu’aux costumes en lycra, l’increvable Lara Croft s’offre une énième renaissance pixélisée après 17 ans de bons sinon loyaux services, étalés sur neuf épisodes plus rébarbatifs que lucratifs. Une idée qui relève à la fois de l’évidence pour une franchise ensevelie sous son propre poids, et de la facilité puisque c’est la quatrième fois que Tomb Raider remanie sa mythologie pour reprendre quelques couleurs. Mais l’espoir la fait survivre et plus coriace que jamais, Lara Croft assure un retour en bonne et due forme, quitte à déboussoler le fan.

 

Délivrance

Des années avant de pister le Scion et arpenter l’épave du Maria Doria, affronter son mentor Werner Von Croy ou manier Excalibur et le marteau de Thor, Lara Croft embarque pour sa première expédition à bord d’un navire, entourée de chercheurs et amis pour percer le mystère d’un Triangle des Bermudes nippon, le Yamataï. Séparée de toute l’équipe après un naufrage causé par une terrible tempête, l’héroïne entame sa future carrière de warrior dans une caverne putride, accrochée par les pieds par un Redneck hérité de Massacre à la tronçonneuse. Le premier geste du joueur sera de se balancer vers une torche pour prendre feu afin de retomber au sol ; le deuxième sera de se débarrasser d’un pieu planté dans son ventre après la chute, avant de se frayer un chemin hors de cette antre du mal, non sans avoir échappé à son hôte, résolu une énigme simple et survécu à l’effondrement de la grotte.

 

 

Ainsi s’ouvre Tomb Raider version 2013, concentré d’action sanguinolente et spectaculaire qui pénètre pour la première fois dans le territoire du « déconseillé aux moins de 18 ans ». Car en l’espace de deux heures, Lara Croft dérobe un arc sur un cadavre pendu dans la forêt, tue un cerf d’une flèche, l’éventre pour se nourrir, marche dans un piège à loup, jusqu’à une phase intense où elle tire à bout portant dans la tête d’un homme qui essaie plus ou moins de la violer – chose démentie par les développeurs mais franchement évidente à l’écran. Le bruit sourd des os brisés après une mauvaise chute, première cause de mortalité depuis le premier épisode, laisse ainsi la place à des cinématiques de mises à mort extrêmes, symptômes d’une révision en profondeur de la franchise, désormais prête à affronter la concurrence. 

 

 

Unraider

Revenu à la source pour renaître dans un cri de douleur sadique, le phoenix Tomb Raider use et abuse des effets de style pour témoigner d’une vivacité, d’un dynamisme et d’une brutalité encore inédits dans la saga. La prise en main est simple, intuitive, conçue pour minimiser la réflexion et embrigader le joueur dans le feu de l’action. La formule est solide, quoique très familière, mais l’addiction est immédiate. A mesure que Lara Croft évolue sur la mystérieuse île tourmentée par le spectre d’une reine aux pouvoirs cosmiques, l’aventure réorganise ainsi l’édifice Tomb Raider pour en faire une vitrine moderne : la progression est d’une formidable souplesse, l’immense décor regorge de détails et effets dynamiques, avec l’impression durable que le terrain de jeu est d’une immensité étourdissante, et l’héroïne affiche une humanité bienvenue, loin de ses heures de gloire comme poupée en plastique. L’exploration solitaire Croftienne s’effrite alors pour laisser place à une survie sanguinaire face à une horde d’ennemis sans foi ni loi, sur une île au moins aussi coriace qui multiplie les coups fourrés et autres Quick Time Events, monnaie courante du jeu d’aventure moderne.

C’est dans ces nombreuses montées d’adrénaline spectaculaires - lorsque les ponts s’écroulent au ralenti, les montagnes tremblent sous un ouragan et les temples se désagrègent alors que l’archéologue s’accroche dans un dernier élan à une planche branlante - que le jeu rappelle incontestablement son frère ennemi Uncharted. Preuve que la bête se mord la queue puisque Lara Croft a en premier lieu inspiré Nathan Drake, qui semble désormais lui servir de référence en matière de rythme et de dynamisme – le système de trousses de soin a été remplacé par une santé flexible, illustrée par des tâches de sang et une image monochrome lorsque la mort se rapproche. Tomb Raider pèche donc par manque d'innovations, puise dans une formule bien rodée, mais rivalise d’idées pour ne pas souffrir de la comparaison. En outre, et au risque de frôler l’absurde, le décor de l’île est exploitée sous différentes coutures pour filtrer l’éventuelle monotonie : une forêt, une plage, un bidonville, un temple, une caverne ou encore une montagne glacée, sous la pluie, la neige, la tempête ou le soleil de plomb, de jour ou de nuit.

 

 

Dead Raider 

Mais le vrai pari de ce Tomb Raider repose moins sur le mystère et l’exploration que le survival et l’action pure – l’ombre de Dead Space et Resident Evil plane sur certains passages, et une séquence sanguinolente rend directement hommage au film d’horreur The Descent. Hormis quelques maigres quêtes annexes qui s’achèvent par un message « Tombeau pillé » de circonstance, ce nouvel épisode utilise sans équivoque son étiquette de « reboot » pour redémarrer la saga sur des bases bien moins farouches. Passé une douce accalmie indispensable à l’immersion, Lara Croft entame donc une interminable descente aux enfers particulièrement impressionnante, ponctuée de séquences de shoots titanesques, d’embuscades improbables et même d’infiltration épineuse assez agréable – une révolution puisque la franchise s’est vautrée à de nombreuses reprises sur ce terrain. Parmi les grands moments de bravoure figure notamment une glissade dans une rivière parsemée de débris d’avions mortels, suivie d'un atterrissage dans l’épave de l’appareil qui se termine sur une vitre fendue comme dans la suite de Jurassic Park, une chute libre, un rattrapage en parachute suivi d’un slalom dans les sapins, puis d’un crash à côté d’un bidonville où il faudra dénicher une trousse de soin parmi les dizaines d’assaillants. Une séquence choc administrée comme un shoot d'adrénaline et montée comme un blockbuster.

Cette désacralisation bulldozer du personnage trouve ses limites dans sa dimension spectaculaire qui, en plus de frôler la surenchère gratuite, atomise l’identité de Tomb Raider. Ce que l’aventure gagne en énergie et dynamisme, elle le perd donc en magie et mystère. Finis les vieux tombeaux poussiéreux oubliés par l’humanité au fil des siècles, les paradis terrestres vierges de toute trace de civilisation, le lourd silence qui pèse sur les épaules de Lara Croft lorsqu’elle viole un temple repris par la végétation : chaque recoin de l’île signale la présence de l’homme et même les lieux les plus reculés, aussi rares qu'exigus, ont été profanés par les autochtones. La pauvre difficulté des énigmes, pour la plupart facultatives, confirme finalement la nouvelle forme que prendra la saga. En outre, la variété des environnements est plombée par une progression banale voire insupportable – l’épisode des bidonvilles enquille ainsi une dizaine d’embuscades où il faudra abattre une douzaine d’hommes armés, de préférence avec une visée semi-assistée pour éviter la crise de nerfs. Enfin, chose esquissée dans le terrible Ange des ténèbres, un compteur de points d’expérience et de divers matériaux permet d’améliorer ses armes et compétences à chaque feu de camp rencontré. Des zones qui servent aussi de passerelles vers toutes les autres zones du jeu, outil indispensable au chasseur de reliques et géocaches – signe des temps

 

 

L’île fantastique

L’autre faiblesse de Tomb Raider réside dans sa narration brouillonne, vraisemblablement victime de la volonté de fuir une linéarité trop lourde. La faute à de trop nombreux seconds rôles, insupportables car purement accessoires, le scénario, divisé entre le besoin de comprendre le mystère de l’île et une nécessité évidente de s’en échapper, se dilue au fur et à mesure de la progression, si bien que certains moments semblent en totale roue libre.

Passés les retrouvailles avec ses amis et le kidnapping par les autochtones, l’aventurière enchaînera de multiples quêtes qui se résument souvent à aller à un point précis, suivre les indications d'un ami au talkie ou s’échapper d’une forteresse pour fuir ses ennemis. Une construction artificielle qui dénote de l’environnement virtuellement sans limites, et qui souffre de nombreux détails absurdes – Lara Croft comprend très tard le lien évident entre les tempêtes et la reine Himiko, et attends sans raison avant de prévenir du danger l’hélicoptère. En outre, il faudra subir deux sauvetages de la meilleure amie, deux crashs dont un à bord de l'appareil, trois captures aux mains des ennemis, et un nombre insensé d’incendies au fil de l’aventure, si bien que la chose prend une couleur bien terne comparée à la maîtrise impeccable de Tomb Raider Underworld, plus efficace car plus carré.

Côté mythologie, ce retour aux sources prend d’ailleurs le contre pied absolu des derniers opus avec un franc recul du surnaturel. Au-delà du ciel, capable de se métamorphoser en l’espace de quelques secondes pour démontrer l’omniprésence de la reine, et de quelques rares apparitions obscures, le vrai cœur du mystère se dévoile dans la toute dernière partie, avec une mesure  étonnante – trois pauvres gardes à abattre et le boss final, lointain cousin du Pyramide Head de Silent Hill 2, en plus de la fameuse reine.

 

 

Résumé

Après une bonne quinzaine d’heures d’aventure, à gonfler avec toutes les quêtes annexes et un mode multi-joueurs non testé, le verdict est clair pour le futur de Tomb Raider : Lara Croft est très loin d’être morte et enterrée. Pour la quatrième fois, la pilleuse de tombes réécrit sa propre histoire sans se soucier de la cohérence, et pour la deuxième fois après Legend, se fraye une place de premier choix dans l’éventail du jeu d’action-aventure moderne.

Ce n’est certainement pas un hasard si ce reboot est le premier épisode de la franchise à ne pas être numéroté ou sous-titré depuis l’original en 1996. Dopé à l’adrénaline, gonflé à bloc par la concurrence, débarrassé des quelques maladresses des volets précédents et désormais victimes de ses ambitions un peu démesurées, Tomb Raider 2013 rouvre en grand les portes de la saga culte. Avec une belle dernière certitude : celle que Lara Croft, qui s’exclame pendant l’aventure qu’elle « déteste les tombes », récupère ses deux flingues dans le combat final et avec eux, cette soif d’aventures qui l’emmènera vers l’infini et au-delà. Et nous avec.

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